Quand la Chambre sociale de la Cour de Cassation démontre qu’elle sait poser des limites à l’obligation des employeurs en termes de sécurité des salariés au travail…
Après avoir été critique à l’égard de la Chambre sociale de la Cour de Cassation dans un très récent blog, je saisis son arrêt du 8 octobre 2014 (n° 13-20.070) pour reprendre espoir dans son analyse de ce qui relève de la responsabilité de l’employeur et me souvenir que l’humour sauve de tout.
Le droit social – belle matière s’il en est notamment du fait de ses aspects fondamentalement humains – peut nous permettre de sourire, tant les situations que peut rencontrer un employeur peuvent être variées et déroutantes.
Un pharmacien salarié a été licencié pour faute grave par son employeur Carrefour Hypermarchés, pour avoir baissé son pantalon puis son caleçon dans les bureaux de la comptabilité et avoir exposé ses attributs sexuels devant les personnes présentes.
La Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 23 avril 2013, a considéré :
- que cet agissement relevait « d’un moment d’égarement ponctuel et isolé et non d’un comportement conscient et délibéré à finalité exhibitionniste » ;
- « que la description de l’incident [ !] faite par les témoins confirment cette absence de volonté délibérée de la part de l’intéressé ; que ces témoins ne font état que de leur étonnement et non d’un choc qui résulterait d’une exhibition destinée à cet effet [ !] ;
- que dans ces conditions d’un comportement étrange [ !], il appartenait à l’employeur de demander l’avis du médecin du travail quant à l’aptitude de Monsieur X à poursuivre son activité ;
- que cet avis était d’autant plus nécessaire que Monsieur X avait indiqué à son employeur qu’il avait eu une amnésie antérograde [ !] »
- que son licenciement était donc prématuré !
- et donc sans cause réelle et sérieuse.
En résumé, pour la Cour d’Appel de Paris, exhiber ses attributs sexuels devant ses collègues féminines ne saurait être considéré comme une faute, dès lors que le salarié ne se souvient pas du tout de cet « incident », qui de ce fait n’est qu’un acte involontaire et un « comportement étrange » !
Ce comportement « étrange » et non anormal (!), aurait donc dû alerter l’employeur qui, responsable de la santé physique et mentale de ses salariés, aurait dû adresser le salarié au médecin du travail …
La Cour d’Appel – composée exclusivement de femmes – a retenu des témoignages que les salariées présentes lors des faits avaient déclaré en être restées bouche bée … ce qu’elles ont interprété comme la preuve d’une absence de choc subit par ces dernières. Et l’absence de volonté d’exhibitionnisme semble avoir été déduite de « l’ensemble des circonstances » non détaillées dans l’arrêt …
Dès lors, c’était à l’employeur de réagir et de soigner ce pauvre pharmacien qui, en posant son pantalon devant ses collègues, ne pouvait qu’être en souffrance !!
Les décisions de justice sont parfois tout autant déroutantes que les faits à l’origine de l’affaire …
On aurait pu craindre que le Chambre sociale, très stricte en termes d’obligation de l’employeur au regard de la santé de ses salariés, n’abonde en ce sens et impose aux employeurs de détecter tout « comportement étrange » chez ses salariés.
Fort heureusement, la Chambre sociale a cassé l’arrêt de Cour d’Appel, considérant qu’elle avait condamné l’employeur par des motifs insuffisants à exclure la faute grave, alors que le salarié avait été déclaré apte quelques mois avant « l’incident » et qu’il n’était pas établi ni même prétendu que l’employeur avait connaissance de l’état mental du salarié (d’autant que rien ne semble avoir été médicalement prouvé quant à l’état mental du salarié… hormis ses affirmations quant à son amnésie !!)
La vie d’un employeur n’est pas un long fleuve tranquille ! Mais il est au moins un type de « comportement étrange » qu’il est en droit de sanctionner !