Quand l’absence de licenciement ouvre droit à dommages et intérêts sans nécessité de justifier le moindre préjudice : la nouvelle jurisprudence en termes d’invalidité…
Dans un arrêt du 6 octobre 2010 (n° 09-13.149), la chambre sociale de la Cour de Cassation retient « qu’au cours de la suspension du contrat de travail l’employeur n’était pas tenu de faire constater l’inaptitude du salarié et qu’une déclaration d’inaptitude même à tout emploi n’avait pas nécessairement pour conséquence le licenciement du salarié concerné. » Dans cette affaire, il s’agissait de débouter un assureur qui reprochait à une entreprise de ne pas avoir procédé au licenciement de salariés classés en invalidité 2e catégorie, ce qui amenait cet organisme assureur à verser une rente d’invalidité plus élevée que s’ils avaient été licenciés.
Moins de quatre mois après, le 25 janvier 2011, cette même chambre sociale estime que « dès lors que le salarié informe son employeur de son classement en invalidité deuxième catégorie sans manifester la volonté de ne pas reprendre le travail, il appartient à celui-ci de prendre l’initiative de faire procéder à une visite de reprise laquelle met fin à la suspension du contrat de travail ». Du fait du retard pris dans l’organisation de la visite de reprise demandée par la salariée, soit un an en l’espèce, l’entreprise a été condamnée à des dommages et intérêts correspondant à l’année de salaire quand bien même la salariée percevait la rente d’invalidité 2e catégorie de la Sécurité Sociale et la rente complémentaire de l’organisme de prévoyance !
Cette nouvelle évolution jurisprudentielle sera d’évidence une nouvelle source de litiges pour les entreprises. Mais elle pourra également être en défaveur de salariés qui ne seraient pas au fait des conséquences exactes sur leur contrat de travail, des termes qu’ils utiliseront pour informer leur employeur de leur invalidité …
L’invalidité :
Il n’est pas inutile dans le contexte de la dernière décision de la Cour de cassation de rappeler certaines définitions.
L’invalidité est reconnue lorsqu’un assuré a subi de manière durable une réduction des deux tiers de sa capacité de travail ou de gain. L’état d’invalidité est apprécié par la caisse primaire d’assurance maladie en tenant compte de la capacité globale de l’assuré en termes de capacité de travail restante, de son état général, de son âge, de ses facultés physiques et mentales ainsi que de ses aptitudes et de sa formation professionnelle (article L.341-3 du Code de la Sécurité Sociale).
Cette capacité globale de se procurer un revenu par une activité professionnelle est appréciée par le Médecin-Conseil de la Sécurité Sociale. Celui-ci n’est certes pas un médecin du travail, lequel est compétent et habilité à apprécier une aptitude particulière à un poste, à un métier et à une entreprise. Mais il a la compétence et l’habilitation pour apprécier la capacité générale de travail ou de gain d’un assuré social salarié comme travailleur indépendant.
Du moins pouvait-on le penser …
Les invalides sont classés dans l’une des trois catégories répertoriées à l’article L.341-4 du Code de la Sécurité Sociale :
- invalides capables d’exercer une activité rémunérée ;
- invalides absolument incapables d’exercer une profession quelconque ;
- invalides qui, étant absolument incapables d’exercer une profession, sont en outre, dans l’obligation d’avoir recours à l’assistance d’une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie. »
Par ailleurs, il est primordial de rappeler les dispositions de l’article L.341-9 : « La pension est toujours concédée à titre temporaire ». Ainsi, un invalide classé en 2e catégorie dont l’état de santé peut parfaitement s’améliorer après quelques années, peut-il se voir « déclassé » et mis en 1e catégorie. L’article L.341-11 dispose : « La pension peut être révisée en raison d’une modification de l’état d’invalidité de l’intéressé. »
En cas d’un tel déclassement, l’assuré voit ses revenus chuter brutalement : la pension invalidité du régime général de sécurité sociale passe ainsi de 50% à 30% de son salaire annuel moyen (limité au plafond de la Sécurité Sociale). Quant à la rente allouée par un organisme assureur, il n’est pas rare que les contrats de prévoyance souscrits par les entreprises ne garantissent pas l’invalidité 1e catégorie. Si elle est garantie, elle diminue dans les mêmes proportions que la rente de base de la Sécurité Sociale. Un salarié peut ainsi aisément voir ses revenus passer de 80% de son salaire brut à 30% de son salaire plafonné.
L’invalidité est donc un état précaire, dépendant à la fois de l’évolution de l’état de santé du salarié au cours des années et de son appréciation par le Médecin-Conseil de la Sécurité Sociale.
Elle ne constitue jamais en elle-même un motif de licenciement et doit être formellement distinguée de l’inaptitude.
L’inaptitude
La constatation de l’inaptitude d’un salarié à son poste est de la compétence exclusive du médecin du travail. Elle ne peut être constatée qu’après deux examens médicaux, espacés d’au moins deux semaines, hormis le cas de danger immédiat.
Il sera rappelé qu’en application de l’article R.4624-21 du Code du travail, un salarié bénéficie obligatoirement d’une visite médicale de reprise :
- Après un congé maternité ;
- Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;
- Après une absence d’au moins huit jours pour cause d’accident du travail ;
- Après une absence d’au moins vingt-et-un jours pour cause de maladie ou d’accident non professionnel ;
- En cas d’absences répétées pour raisons de santé.
Cet examen a lieu lors de la reprise ou au plus tard dans les huit jours (Article R.4624-22 du Code du travail).
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, est responsable de l’initiative de la visite de reprise. Toute défaillance de sa part est maintenant sévèrement sanctionnée, le non-respect de cette obligation ou le simple retard dans son exécution causant nécessairement un préjudice au salarié (Cass.soc. 13 décembre 2006) et tout refus de l’employeur s’analysant en un licenciement (Cass.soc.28 octobre 2009).
Les entreprises se doivent donc d’être particulièrement vigilantes sur le respect de cette obligation. D’autant plus que seule la visite de reprise met fin à la période de suspension du contrat de travail. Dès lors tout licenciement, pour quelque motif que ce soit, qui interviendrait sans visite de reprise expose l’entreprise à la nullité du licenciement quand l’arrêt de travail considéré avait une maladie professionnelle ou un accident du travail pour origine.
Les règles relatives à l’inaptitude sont multiples et pleines de nuances qui peuvent aisément induire en erreur un employeur insuffisamment aguerri en la matière.
Il convient par exemple de distinguer une inaptitude totale ou partielle, temporaire ou définitive, une visite de reprise et une visite de pré-reprise, une aptitude avec réserves, etc. Toute erreur est sanctionnée.
Et ces erreurs peuvent coûter fort cher à l’entreprise qui, par exemple, n’aura pas prêté attention à l’origine, professionnelle ou non, de l’inaptitude. La moindre défaillance en termes de procédure relative à une inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle ne coûtera pas moins d’un an de salaire ! Ce sera par exemple le cas pour une entreprise qui n’aurait pas organisé dans les temps ses élections de délégués du personnel, ceux-ci devant être obligatoirement consultés.
Parmi les contraintes liées à l’inaptitude, nul doute que les exigences jurisprudentielles en termes de recherche de reclassement s’avèrent souvent insurmontables, spécifiquement pour les petites entreprises.
Il est en effet matériellement impossible au chef d’une petite entreprise, sans représentants du personnel, et seul décideur, de prouver matériellement qu’il a effectué toutes les recherches de solutions envisageables. Car il doit apporter des preuves matérielles en cas de contentieux ! Il ne doit surtout pas se précipiter après avoir reçu l’avis d’inaptitude car toute hâte à licencier le salarié serait une preuve de l’absence de recherche de reclassement. Mais il ne doit pas non plus attendre trop longtemps avant de prendre sa décision car l’article L.1226-4 du Code du travail lui impose de reprendre le versement des salaires si le salarié n’est ni reclassé ni licencié à l’issue d’un délai de un mois à compter du second avis d’inaptitude.
Et l’employeur ne doit surtout pas omettre de vérifier scrupuleusement que le Médecin du Travail a bien rempli ses obligations au regard de la procédure : la moindre erreur dans le nombre de visites, dans les mentions obligatoires des avis d’inaptitude, l’omission des recommandations en vue du reclassement, sera imputable à l’employeur qui sera seul à en payer le prix !
Les conclusions à tirer des récentes évolutions jurisprudentielles en cas d’invalidité
Dans la pratique, les entreprises confrontées à une mise en invalidité 2e catégorie d’un salarié engagent souvent une procédure de licenciement pour inaptitude et suivent en conséquence les prescriptions de l’arrêt de la Cour de Cassation du 25 janvier 2011 (n°09-42766) en faisant convoquer le salarié par la médecine du travail dès qu’elles ont connaissance de la mise en invalidité.
Il peut en effet être délicat de gérer un salarié dont la suspension du contrat de travail peut durer plusieurs années.
Mais un certain nombre d’entreprises conservent les salariés inscrits aux effectifs, tenant compte de la précarité de la classification d’invalide, des possibles avantages sociaux que l’appartenance à l’entreprise peut apporter au salarié (mutuelle à un meilleur tarif, accès aux avantages du comité d’entreprise dans les mêmes conditions que les salariés en poste, meilleure indemnisation du régime de prévoyance, etc.)
Elles prennent également en compte l’âge du salarié : si le salarié est proche de son possible départ en retraite, elles ont naturellement tendance à attendre la date à laquelle le salarié bénéficiera de sa pension à taux plein, ce qui sera fait d’office dès que la Sécurité Sociale constatera qu’il en remplit les conditions.
Dès lors, face à un salarié qui a une grande ancienneté et qui est classé en invalidité 2e catégorie à un âge proche de la retraite, l’intérêt financier de l’entreprise est de conserver le salarié et d’attendre sa retraite pour lui allouer l’indemnité correspondante.
Le salarié quant à lui ne subit pas de préjudice à ne pas être licencié, dès lors qu’il perçoit les rentes par la Sécurité Sociale et le régime de prévoyance. D’autant plus que l’article L.5411-5 du Code du travail dispose : « Les personnes invalides mentionnées aux 2° et 3° de l’article L.341-4 du code de la Sécurité sociale ; bénéficiaires à ce titre d’un avantage social lié à une incapacité totale de travail, ne peuvent être inscrites sur la liste des demandeurs d’emploi pendant la durée de leur incapacité. » Disposition on ne peut plus logique et explicite.
Cette disposition expresse n’a cependant pas empêché la Cour de Cassation de considérer, dans son arrêt n° 03-11467 du 22 février 2005, que « l’attribution d’une pension d’invalidité de la deuxième catégorie par un organisme de sécurité sociale n’implique pas que son bénéficiaire soit inapte au sens de l’article L.351-1 [L.5124-1] du Code du travail », ledit article listant les conditions (dont l’aptitude au travail) pour l’ouverture du droit aux allocations chômage.
Première décision visant à créer la situation selon laquelle un salarié invalide incapable d’exercer une profession quelconque pourrait en théorie être apte à travailler. De même bien sûr pour un invalide 3e catégorie …
Cet arrêt nous vaut donc la mention suivante (que l’on pourrait qualifier de « morceau choisi » de la réglementation sociale française), extraite de la circulaire n°2009-10 du 22 avril 2009 de l’UNEDIC :
« Les personnes invalides de 2ème ou 3ème catégorie, bénéficiaires d’une pension de 2ème ou 3ème catégorie liée à leur incapacité totale de travail, ne peuvent pas, en principe, être inscrites sur la liste des demandeurs d’emploi, pendant la durée de leur incapacité. (C. trav., art.L. 5411-5).
L’entreprise est alors amenée à verser au salarié l’indemnité de départ volontaire en retraite, comme elle le ferait pour tout autre salarié. La plupart des conventions collectives allouent des indemnités de départ volontaire en retraite nettement plus basses que les indemnités de licenciement, l’entreprise n’étant pas responsable de la rupture du contrat de travail et du départ du salarié. La loi elle-même fait une distinction d’indemnisation très conséquente : un salarié partant en retraite après 10 ans d’ancienneté a droit à une indemnité de départ volontaire en retraite égale à ½ mois de salaire, alors qu’en cas de licenciement, l’indemnité légale est de 2 mois. Les différences entre les deux types d’indemnités sont d’autant plus importantes que le salarié a une ancienneté élevée.
Toutefois, l’attribution d’une pension d’invalidité de la 2ème ou 3ème catégorie par un organisme de sécurité sociale n’implique pas, nécessairement, que son bénéficiaire soit inapte au travail au sens de l’article L. 5421-1 du code du travail. L’inscription comme demandeur d’emploi est donc possible. »
L’absence de licenciement consécutivement à une mise en invalidité 2e catégorie sera dorénavant plus rare. En effet, comme on l’a vu, la Cour de Cassation précise que dès lors que « le salarié informe son employeur de son classement en invalidité deuxième catégorie sans manifester la volonté de ne pas reprendre le travail, il appartient à celui-ci de prendre l’initiative de faire procéder à une visite de reprise laquelle met fin à la suspension du contrat de travail ».
En conséquence, si le salarié mis en invalidité 2e catégorie par la Sécurité Sociale stipule expressément à son employeur qu’il ne souhaite pas reprendre le travail … l’entreprise pourra le conserver à ses effectifs ! S’il se contente d’informer l’entreprise de son invalidité 2e catégorie, l’entreprise aura l’obligation de le licencier !
Comment imaginer qu’un Médecin du travail puisse considérer un salarié reconnu Invalide 2e catégorie, donc « absolument incapable d’exercer une profession quelconque », comme étant apte à exercer une profession particulière ! Dans la pratique actuelle, en tel cas, l’inaptitude totale à tout poste dans l’entreprise a un caractère systématique. Il en découle de fait une impossibilité de reclasser le salarié, mais l’entreprise devra malgré tout non seulement tenter mais réaliser l’impossible en reclassant un salarié officiellement reconnu comme incapable d’exercer une profession quelconque !
Mais qui dit que la prochaine évolution en la matière ne sera pas une demande de dommages et intérêts d’un salarié invalide 2e catégorie, qualifié d’apte au travail par le Médecin du travail et reclassé par son employeur : ne pourrait-il pas prétendre que l’initiative de son employeur lui a fait perdre le bénéfice d’un repos mérité et accordé par la Sécurité sociale, et des pensions auxquelles il pouvait prétendre ?
Ubuesque ??? Certainement !
Sauf si l’on considère que le Médecin-Conseil n’est ni compétent ni habilité à apprécier l’état d’invalidité selon les dispositions de l’article L.341-3 qui font expressément référence à la prise en compte par ce médecin des aptitudes et de la formation professionnelle. C’est ce que laisse penser la jurisprudence …
Si tel n’était pas le cas, la Cour de Cassation ne devrait pas imposer des recherches de reclassement qui manquent de sens et au final un licenciement, sauf à considérer que cette obligation de reclassement, souvent difficile à justifier, et le licenciement ne sont en fait qu’une possibilité pour les salariés bien informés d’obtenir réparation du seul fait de la rupture de leur contrat de travail,
- quand bien même l’invalidité n’aurait aucun rapport avec l’exercice des fonctions et donc avec l’entreprise,
- quand bien même la rupture du contrat de travail serait imposée à l’entreprise.
Obligation de licenciement qui ne manque pas d’interpeller quand la tendance actuelle semble plutôt destinée à supprimer autant que faire se peut la précarité de l’emploi ! Rappelons que la suspension du contrat de travail pendant la durée du classement en 2e catégorie peut être plus sécurisante pour le salarié qu’un licenciement ! En cas de déclassement en 1e catégorie, il peut alors réintégrer l’entreprise dans les conditions prescrites par le médecin du travail, bénéficiant ainsi de la juste protection liée à l’inaptitude qui, en tel cas, est justifiée : le salarié conserve des capacités réduites de travail, et sa réintégration nécessitera très probablement l’aménagement de son poste ou un reclassement, mais celui-ci pourra être effectivement recherché par l’entreprise qui disposera de bases précises pour faire une telle recherche, ce qui ne peut être le cas pour un salarié en 2e catégorie (sauf à considérer le Médecin-Conseil comme un incapable et la Sécurité Sociale comme dispendieuse dans ses attributions de rentes invalidité!). Et si le reclassement n’était pas réalisable, il serait alors licencié, son « droit » à licenciement n’étant pas perdu ! Tout au plus pourrait-il – selon la convention collective applicable – y gagner quelques années d’ancienneté !
Nous ne pouvons que craindre une recrudescence de litiges, les mises en invalidité 2e catégorie étant fréquentes. De plus, le report à 62 ans de l’âge légal de départ en retraite aura probablement pour conséquence leur augmentation
Le coût pour les entreprises, contraintes de verser une indemnité de licenciement, sera en tout état de cause augmenté.
Les incertitudes et les risques liés à tout licenciement pour inaptitude sont également augmentés du fait des évolutions jurisprudentielles des dernières années.
Les petites entreprises dépourvues des compétences juridiques internes, dont les possibilités financières ne leur permettent pas de confier un tel licenciement à un professionnel du conseil, seront encore un fois les plus pénalisées.
Quant aux salariés, il leur est également conseillé de prendre conseil avant d’informer leur employeur de leur mise en invalidité car de cette information dépendra leur indemnisation et leurs droits potentiels pour la durée de leur invalidité.
Une intervention du législateur serait sans doute appréciable pour assurer une transparence et une sécurité juridique minimales aussi bien pour les salariés que pour les entreprises.