Que retenir des nouvelles règles européennes en matière de coopération horizontale ?
L’année 2010 aura été, à bien des égards, l’année de la modernisation des règles européennes de la concurrence. Après la révision des règles applicables aux accords de coopération verticale[1] et à des catégories d’accords sectoriels[2], deux nouveaux règlements d’exemption concernant certaines restrictions horizontales ont été adoptés le 14 décembre 2010,[3] accompagnés de lignes directrices parues en janvier 2011[4].
Alors que les règlements concernent spécifiquement les accords de Recherche & Développement (R&D) d’une part et les accords de spécialisation d’autre part, les lignes directrices traitent des accords conclus entre entreprises concurrentes (accords de coopération horizontale) en général.
Les règlements sont entrés en vigueur le 1er janvier 2011. Une période de transition de deux ans est toutefois prévue pour les accords déjà en vigueur au 31 décembre 2010 qui sont conformes aux anciens règlements mais pas aux nouveaux.
Le présent article se focalise sur les modifications essentielles apportées aux règles applicables antérieurement.
1. Les règlements
Globalement, les deux nouveaux règlements d’exemption poursuivent toujours le même objectif : décrire les conditions dans lesquelles un accord (de R&D ou de spécialisation) relevant de l’article 101§1 TFUE peut être exempté au titre de l’article 101§3 TFUE ; étant précisé que les parties à un accord ne peuvent, en tout état de cause, prétendre au bénéfice de l’exemption automatique qu’à la condition que le seuil de parts de marché détenu par les parties en cause n’excède pas 25% pour les accords de R&D et 20% pour les accords de spécialisation.
1.1 Règlement d’exemption n°1217/2010 des accords de R&D
Le champ d’application de ce règlement a été étendu par rapport au règlement précédent : les accords de R&D ont donc plus de chance d’être exemptés.
- En sus des activités de R&D réalisées conjointement, les « activités rémunérées de recherche et développement » (c’est-à-dire, les activités de R&D réalisées par une partie et financées par l’autre) pourront également bénéficier de l’exemption[5]. Dans le cadre de ces activités de « recherche commandée », la part de marché à considérer – pour évaluer le franchissement du seuil de 25% – est la part de marché cumulée de la partie qui finance et de l’ensemble des parties avec lesquelles la partie qui finance a conclu des accords de R&D concernant les mêmes produits ou technologies contractuels[6].
- Davantage de cas d’exploitation en commun des résultats de R&D (y compris le cas où l’une des parties bénéficie d’une licence exclusive consentie par l’autre sur le territoire de l’Union européenne) peuvent être exemptés.
1.2 Règlement d’exemption n°1218/2010 des accords de spécialisation
Auparavant, l’exemption ne concernait que les accords de spécialisation aux termes desquels une ou plusieurs parties cessai(en)t de fabriquer certains produits. Désormais, l’exemption est susceptible de s’appliquer même si l’une des parties ne cesse que partiellement la production[7]. Une partie peut donc décider de fermer une de ses usines et/ou sous-traiter la production d’une de ses usines et continuer à pouvoir prétendre à l’exemption.
Dans le cas où les accords de spécialisation portent sur des produits dits « intermédiaires » lesquels seront utilisés pour la fabrication d’autres produits en aval, le Règlement d’exemption considère que le seuil de part de marché de 20% doit être mesuré sur le marché aval sur lequel les produits intermédiaires sont utilisés ; et ce, afin de mesurer les effets de « verrouillage » potentiels pour les concurrents sur le marché aval.
Si la partie qui va utiliser les produits intermédiaires sur le marché aval détient plus de 20% dudit marché, l’exemption n’est pas susceptible de s’appliquer[8].
2. Lignes directrices
Les lignes directrices ont vocation à s’appliquer à une grande variété d’accords : échanges d’informations, accords de R&D, de production, d’achat, de commercialisation et de normalisation.
Elles se veulent plus lisibles et accessibles pour permettre aux entreprises de mieux apprécier les effets négatifs et positifs sur le marché des accords horizontaux auxquels elles sont parties. Les accords horizontaux franchissant les seuils de parts de marché ne sont pas nécessairement illicites dès lors qu’au cas par cas, ils ont des effets positifs sur le marché.
Les lignes directrices sont donc un outil très utile à cet égard et permettent aux entreprises d’auto-évaluer l’effet nocif/positif de leur accord sur le marché.
Les principales modifications apportées aux lignes directrices portent sur les accords de normalisation et les échanges d’informations.
2.1 Importante modification du chapitre concernant les accords de normalisation
Les lignes directrices définissent les accords de normalisation comme étant des accords visant à « la définition d’exigences techniques ou d’exigences de qualité auxquelles des produits, processus, services ou méthodes de production actuels ou futurs peuvent répondre ». Il peut s’agir de normes adoptées par les instituts européens ou nationaux de normalisation reconnus mais également d’accords entre entreprises indépendantes ou autres. Il s’agit donc de standards de qualité, quelle que soit leur origine[9].
La Commission rappelle, dans les lignes directrices, en quoi les accords de normalisation peuvent être, de par leur objet ou leur effet, anticoncurrentiels au sens de l’article 101§1 TFUE.
Les accords de normalisation ont un objet anticoncurrentiel dès lors qu’ils ont pour objectif affiché d’évincer les concurrents (par le fait notamment d’exclure d’emblée les technologies concurrentes de celles faisant l’objet de l’accord de normalisation).
Les accords de normalisation peuvent également avoir un effet anticoncurrentiel lorsque, par exemple, les concurrents se voient concrètement empêchés d’accéder à la norme ; notamment de par les prix prohibitifs que pratiquent les détenteurs des droits de propriété industrielle (« DPI »), objets de la norme.
Dans le chapitre dédié aux accords de normalisation, les lignes directrices énoncent les critères (délimitant la « sphère de sécurité ») qui font échapper les accords de normalisation à tout risque de contestation :
- la procédure d’adoption de la norme doit être non restrictive et ouverte à tous les concurrents opérant sur le marché ;
- la procédure d’adoption de la norme doit être transparente et permettre aux parties prenantes de consulter les travaux à venir, en cours ou achevés ;
- le respect de la norme ne doit pas être obligatoire ;
- la politique en matière de DPI doit être claire et équilibrée. Notamment, il doit exister un accès effectif à la norme dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (« FRAND » pour « Fair, Reasonnable, And Non-Discriminatory »). De plus, les titulaires de DPI qui veulent que de tels droits soient inclus dans la norme doivent s’engager irrévocablement et par écrit à divulguer de bonne foi les DPI essentiels à la mise en œuvre de la norme et ce, pour éviter les « embuscades tenues au moyen de brevets » (en anglais, les pratiques répondant au nom de « patent embush »).
Il ne peut, pour autant être déduit que « en dehors de la sphère de sécurité, point de salut » ! Les accords de normalisation ne respectant pas les critères de la sphère de sécurité ne sont pas présumés illégaux pour autant.
Il reste toujours aux parties prenantes aux accords de normalisation la possibilité d’auto-apprécier, sur la base d’illustrations données par les lignes directrices, et de justifier que leur accord présente des gains d’efficacité importants (tels que l’interpénétration des marchés, l’interopérabilité….) susceptibles de le faire exempter au titre de l’article 101§3 TFUE.
2.2 Nouveau chapitre concernant l’échange d’informations
Les lignes directrices comportent désormais un chapitre concernant l’échange d’informations. Il s’agit d’un document très intéressant en ce qu’il livre enfin la position officielle de la Commission sur les conditions dans lesquelles les échanges d’informations sont compatibles avec le droit de la concurrence.
Pour être problématique, l’échange d’informations n’a pas nécessairement à être réciproque : le fait pour un opérateur économique de divulguer à ses concurrents le comportement qu’il envisage d’adopter peut être assimilé à une pratique concertée. En effet, les lignes directrices rappellent dans cette hypothèse que l’entreprise destinataire des informations stratégiques est présumée « avoir accepté ces informations et avoir adapté son comportement sur le marché en conséquence, à moins qu’elle n’ait répondu par une déclaration claire qu’elle ne souhaitait pas recevoir de telles données ».
Si les échanges d’informations entre concurrents concernant les données générales sur un marché peuvent s’avérer positifs pour le marché dans son ensemble, les échanges de données individualisées concernant, par exemple, les prix ou les quantités, doivent, par principe, être considérés comme ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101§1 TFUE.
Les lignes directrices dégagent également les caractéristiques principales d’échanges d’informations entre concurrents susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels. Pour les besoins de l’appréciation des effets anticoncurrentiels, sont essentiellement retenus :
- La teneur et les caractéristiques des informations échangées : sont considérées comme stratégiques les informations portant sur « les prix », « les listes de clients, les coûts de production, les quantités, le chiffre d’affaires » ou encore « les investissements, les technologies et les programmes de R&D et les résultats de ceux-ci » ;
- Les conditions économiques prévalant sur le marché en cause : l’effet anticoncurrentiel sera plus facilement caractérisé, par exemple, sur des marchés « transparents », « concentrés », où « les conditions de l’offre et de la demande sont relativement stables » ;
- Sont également pris en compte : le caractère individualisé ou non des données, le caractère ancien ou récent des données échangées, la fréquence des échanges, le caractère public ou non public de l’information et de son échange (…)
Les lignes directrices fournissent également des illustrations concrètes, utiles à l’auto-appréciation des entreprises, sur les gains d’efficacité ou les cas dans lesquels les échanges d’informations ne doivent pas être regardés comme anticoncurrentiels (échanges d’information à des fins statistiques ou de comparaison).
[1] Règlement 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées.
[2] Règlement 267/2010 du 24 mars 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords, de décisions et de pratiques concertées dans le secteur des assurances ; Règlement 461/2010 du 27 mai 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.
[3] Règlement 1217/2010 du 14 décembre 2010 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de recherche et de développement, JO L 335 du 18.12.2010, p.36 et Règlement 1218/2010 du 14 décembre 2010 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de spécialisation, JO L 335 du 18.12.2010, p. 43.
[4] Communication de la Commission – Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale, JO C 11 du 14.01.2011, p. 1.
[5] Article Premier §1. a), iv), v) et vi) du Règlement 1217/2010.
[6] Article 4§2. b) du Règlement 1217/2010.
[7] Article Premier §1.b pour les accords de spécialisation unilatérale ; c° pour les accords de spécialisation réciproque du Règlement 1218/2010.
[8] Article Premier§1, i) du Règlement 1218/2010.
[9] Sont toutefois exclues l’adoption de normes dans le cadre de l’exécution de prérogatives de puissance publique ainsi que celles concernant la prestation de services professionnels (les lignes directrices donnent l’exemple des règles d’accès à une profession libérale).