Quel cadre juridique pour les NFT ? Aperçu de l’analyse du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique
Compte tenu de l’ampleur du développement des NFT (« non-fungible tokens » ou jetons non fongibles dits « JNF »), il était devenu urgent de faire un état des lieux juridique puis de proposer des solutions ou à tout le moins des pistes de réflexion pour encadrer leur essor, dans le respect des droits d’auteur et voisins.
Cette mission a été confiée au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique qui a présenté son rapport le 12 juillet 2022.
Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) est une instance de consultation et de dialogue chargée de conseiller le ministre de la culture en cette matière. Mais il a également vocation à permettre aux différents intervenants du secteur (auteurs, artistes, éditeurs, producteurs mais aussi utilisateurs) d’échanger sur les problématiques qui émergent du fait notamment de l’essor des nouvelles technologies.
C’est ainsi que le CSPLA a reçu pour mission de faire le point juridique sur les NFT ou « non-fungible token » (jetons non fongibles). Il est vrai que le caractère très spéculatif de ce nouveau marché pose la question de son encadrement afin que les relations entre ses acteurs soient saines. Et l’Etat ne saurait voir d’un bon œil une perte de contrôle annoncée, l’utilisation des cryptomonnaies pour la commercialisation de NFT dénotant déjà une volonté de s’abstraire du cadre bancaire. Le CSPLA a donc émis un rapport, présenté le 12 juillet 2022, après avoir procédé à « une soixantaine d’auditions conduites auprès des acteurs de terrain, ministère de la culture, professionnels du marché de l’art, organismes de gestion collective, entreprises, fédérations professionnelles, associations et artistes ».
Si les NFT ont cet avantage d’offrir de belles perspectives de développement des œuvres de l’esprit et surtout de leurs modalités d’exploitation, encore faut-il que ces dernières et que les transactions y afférentes ne préjudicient pas les titulaires de droits d’auteur et voisins. Il était donc important de faire un état des lieux puis de proposer des solutions ou à tout le moins des pistes de réflexion.
Le premier enjeu a été de qualifier le NFT. « Concrètement, l’acquisition d’un jeton non fongible (« JNF » en français, « NFT » en anglais) correspond à l’acquisition d’un jeton inscrit sur la blockchain et associé à un « smart contract » (contrat intelligent, en français), qui renvoie à un fichier numérique (image, son, vidéo, …). » En droit, sa qualification n’est pas aisée. Il ne s’agit pas de le confondre avec l’œuvre d’art qu’il vise, ni de l’assimiler à un certificat d’authenticité de celle-ci (en l’absence de tiers vérificateur). Le détenteur d’un NFT ne dispose pas des droits de propriété intellectuelle couvrant l’œuvre visée par le NFT, sauf dispositions contractuelles contraires. Il ne peut donc en principe pas exploiter ladite œuvre numérique, pas plus que le propriétaire d’une œuvre physique (tableau, dessin, sculpture…) et pas davantage interdire un tiers d’y procéder. Par ailleurs, le NFT ne saurait faire obstacle à l’application du droit de suite attaché à certaines œuvres de l’esprit.
Le CSPLA propose « de le considérer comme un titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain, auquel peuvent être associés d’autres droits sur le fichier numérique vers lequel il pointe, dont l’objet, la nature, et l’étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur exprimée par les choix techniques et éventuellement juridiques associés au smart contract. »
Ceci implique un lien contractuel entre parties et donc leur accord sur les conditions de transmission du NFT, ce que ne facilite pas l’anonymat propre à ce marché ou plutôt l’utilisation de pseudonymes sur la blockchain. On peut tout autant s’interroger sur la capacité des parties à lire et comprendre le contenu du contrat du fait du langage informatique employé (même si les vices du consentement sont une piste de rééquilibrage des forces en présence).
Rappelons que pour créer un NFT, l’œuvre physique doit être reproduite sous un format numérique et que l’accord du titulaire des droits de propriété intellectuelle (droits patrimoniaux et droit moral) sur l’œuvre est requis. A cet égard, la question de la dénaturation susceptible de constituer une atteinte au droit moral de l’auteur pose question. La simple association d’une reproduction numérique de l’œuvre à un NFT suffirait-elle ou bien faudrait-il une véritable modification de l’œuvre comme une numérisation de mauvaise qualité par exemple ?
On peut encore s’interroger sur l’épuisement des droits en matière de NFT. D’après le CSPLA, « plusieurs éléments plaident pour que l’on considère que l’épuisement du droit de distribution ne s’exerce pas à l’égard de la vente de JNF : un JNF est en effet un élément codé en langage informatique qui ne correspond ni à l’œuvre protégée, ni à l’incarnation physique du fichier numérique la contenant, et ne constitue pas davantage son support matériel et tangible. » Il s’agirait donc d’une communication au public, laquelle est insusceptible d’épuisement des droits.
En matière de contrefaçon, le marché des NFT pose des obstacles à l’engagement d’une action judiciaire par le titulaire des droits contrefaits, dont la détermination de la juridiction territorialement compétente. Il n’y a pas de territorialisation des NFT et même à se reporter aux CGV des plateformes, il est à craindre qu’une juridiction étrangère et lointaine soit désignée.
L’une des pistes pour s’assurer de la protection de la propriété intellectuelle serait enfin la responsabilisation des plateformes d’échanges de NFT. Il est à cet égard suggéré de leur appliquer le régime des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne au sens de l’article 17 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique.