La réforme de la prescription en matière pénale
Depuis le 1er mars 2017, la prescription de l’action publique (délai pendant lequel une infraction peut être poursuivie) et la prescription des peines (délai d’exécution d’une décision de condamnation définitive) sont soumises à de nouvelles dispositions.
Qu’en est-il des conséquences de cette réforme ?
La prescription de l’action publique doublée pour les crimes et délits
Inspirée par la prolongation de l’espérance de vie, les progrès relatifs à la conservation des preuves et la durée moyenne des délais de prescription en Europe, la réforme instaurée par la loi du 27 février 2017 s’est principalement traduite par un accroissement des délais de prescription de l’action publique.
Ainsi, aux termes des articles 7 et 8 modifiés du Code de procédure pénale, l’action publique des crimes se prescrit désormais par vingt ans (au lieu de dix auparavant) et celle des délits par six ans (contre trois précédemment).
L’action publique des contraventions demeure, elle, inchangée.
Les régimes dérogatoires de prescription inchangés
Des délais dérogatoires sont conservés pour certains crimes[1] (trente ans) et délits[2] (vingt ans), jugés particulièrement graves.
Le dispositif antérieur relatif aux infractions subies par des mineurs est maintenu. Le point de départ du délai de prescription demeure reporté à la date de leur majorité pour les infractions visées par l’article 706-47[3] du Code de procédure pénale, ainsi que pour les violences les plus graves. Les délits énumérés à l’article susvisé se prescrivent par un délai dérogatoire de dix ans, à l’exception des agressions et atteintes sexuelles, soumises à un délai dérogatoire de vingt ans (tout comme les violences les plus graves).
Enfin, les génocides et crimes contre l’humanité demeurent imprescriptibles.
Le cas particulier des infractions occultes ou dissimulées
L’alinéa 3 de l’article 9-1 du Code de procédure pénale prévoit, par dérogation aux délais de prescription de droit commun, que « le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique ».
Le texte précise que l’infraction occulte est celle « qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire », l’infraction dissimulée étant celle « dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ». Sont notamment considérées comme de telles infractions les abus de confiance, abus de biens sociaux, fraudes fiscales et autres infractions économiques et financières.
Le législateur a ainsi consacré la jurisprudence de la Haute juridiction, ajoutant toutefois un délai butoir au-delà duquel l’infraction, même non encore découverte, est prescrite. Ce délai, démarrant au jour où l’infraction a été commise, est de douze ans en matière correctionnelle et de trente ans en matière criminelle.
Ce délai butoir a fait l’objet de vives critiques doctrinales, certains auteurs regrettant que le régime légal soit plus favorable aux délinquants financiers que celui appliqué jusqu’alors par la jurisprudence. Ceci leur apparaît d’autant plus critiquable que la majorité des infractions occultes et dissimulées se révèlent à travers des documents bancaires et écritures comptables, preuves qui résistent parfaitement à l’écoulement du temps.
Cette disposition semble ainsi trancher avec l’esprit même de la réforme de la prescription pénale, tendant à l’allongement des délais de prescription.
Les causes d’interruption et de suspension de la prescription listées par la loi
L’article 9-2 du Code de procédure pénale liste désormais les actes interruptifs de prescription (faisant courir un nouveau délai de prescription, égal au délai initial), consacrés jusqu’alors par la jurisprudence.
Sont ainsi interruptifs, aux termes de l’article 9-2 du Code de procédure pénale, (i) les actes émanant du ministère public ou de la partie civile tendant à la mise en mouvement de l’action publique, (ii) les actes d’enquête émanant du ministère public et tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou par un agent habilité, tendant à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction, (iii) tout acte d’instruction établi par une juridiction d’instruction ou assimilée tendant à cette même fin, et (iv) tout jugement ou arrêt non entaché de nullité.
Si le dépôt d’une plainte simple demeure non interruptif de prescription, la loi oblige désormais les services de police à indiquer, sur tout récépissé de dépôt de plainte, la durée de la prescription et la possibilité de l’interrompre en déposant une plainte avec constitution de partie civile.
L’article 9-3 du Code précité reprend enfin le principe jurisprudentiel de suspension du délai de prescription en présence d’un « obstacle de droit, prévu par la loi », ou d’un « obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure ».
L’infime modification du délai de prescription des peines
Le régime des délais de prescription des peines est quasiment inchangé par la loi du 27 février 2017.
En matière criminelle, le délai de prescription des peines est maintenu à vingt ans à compter de la date de la décision de condamnation devenue définitive. Un délai dérogatoire de trente ans est toutefois conservé pour certains crimes[4], tout comme l’imprescriptibilité des peines pour les crimes contre l’humanité.
En matière délictuelle, le délai de prescription des peines passe de cinq à six ans à compter de la date de la décision de condamnation devenue définitive. Un délai dérogatoire de vingt ans est également prévu pour certains délits[5].
Enfin, la prescription des peines contraventionnelles demeure de trois années.
L’application de la loi du 27 février 2017 dans le temps
En application de l’article 112-2 4° du Code pénal, la loi du 27 février 2017 est d’application immédiate. Elle a ainsi vocation à réprimer les infractions commises avant son leur entrée en vigueur dont la prescription n’est pas acquise.
L’article 4 de ladite loi précise toutefois que celle-ci « ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique ».
Les lacunes de la réforme
En dépit d’un véritable effort de clarification du droit positif et de consécration de l’évolution jurisprudentielle, la réforme soulève des problèmes relatifs à la conservation des preuves et à l’engorgement contemporain des tribunaux.
D’une part, la réforme suscite la crainte d’un dépérissement des preuves, les témoignages et souvenirs étant particulièrement fragiles vingt ans après les faits.
D’autre part, celle-ci risque d’augmenter sensiblement le nombre de dossiers pénaux à traiter par les tribunaux, déjà en manque de moyens. Il aurait ainsi été souhaitable qu’une étude d’impact soit réalisée à ce sujet et que les moyens nécessaires soient alloués à la Justice pour satisfaire aux ambitions de la réforme.
[1] Crimes terroristes, crimes de trafic de stupéfiants, crimes de prolifération d’armes de destruction massive, crimes d’eugénisme et de clonage reproductif, crimes de disparition forcée et crimes de guerre (cf. Art. 7 CPP).
[2] Délits relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive punis de dix ans d’emprisonnement, délits terroristes, délits de trafic de stupéfiant et délits de guerre (cf. Art. 8 CPP).
[3] Notamment crimes de meurtre ou d’assassinat, crimes d’actes de torture ou barbarie, crimes de viol, délits d’agression sexuelle, crimes et délits de traite des êtres humains, crimes et délits de proxénétisme et autres délits à caractère sexuel.
[4] Crimes d’eugénisme et de clonage reproductif, crimes de disparition forcée, crimes de guerre, crimes terroristes, crimes de trafic de stupéfiants, et crimes relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive.
[5] Délits de guerre, délits terroristes, délits de trafic de stupéfiants et délits prolifération d’armes de destruction massive lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement.