Réforme du droit des contrats : les répercussions sur les pratiques contractuelles en matière de distribution
Les dispositions de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations entreront en vigueur le 1er octobre 2016 et s’appliqueront à tous les contrats conclus à compter de cette date.
Cette réforme majeure du droit des obligations entraînera certaines modifications des pratiques contractuelles en matière de droit de la distribution. Voici quelques exemples de répercussions à anticiper sur la formation, l’exécution et le contenu des contrats de distribution.
1. Sur la formation des contrats
Généralisation du principe de bonne foi dans la phase précontractuelle
L’exigence de bonne foi des parties, qui était limitée à la seule exécution du contrat par l’article 1134 du Code civil, est désormais étendue à la phase de négociation et de formation du contrat ainsi qu’à la rupture des pourparlers.
Il ressort en effet des modifications apportées au Code civil que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » (nouvel article 1104 du Code civil). En outre, « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres », celles-ci devant « impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi » (nouvel article 1112 du Code civil).
Si la portée de ces modifications paraît relative dans la mesure où la jurisprudence reconnaissait déjà le principe de bonne foi dans la phase précontractuelle, celles-ci renforcent cependant de toute évidence son existence et l’obligation par les parties de le respecter.
Il conviendra donc de prêter attention au respect par les parties de cette exigence de bonne foi dans le cadre de la négociation et de la formation des contrats de distribution. Des clauses déclaratives sur le respect de cette exigence pourront s’avérer utiles.
Consécration d’une obligation générale d’information précontractuelle
La généralisation du principe de bonne foi des parties devra être combinée avec un devoir général d’information précontractuelle du cocontractant introduit par la réforme. Ainsi, « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant » (nouvel article 1112-1 du Code civil).
Le manquement à cette obligation d’information est sanctionné par l’engagement de la responsabilité de la partie qui en était tenue, et peut également entraîner l’annulation du contrat en cas de vice du consentement.
Cette innovation entraîne des conséquences pour les têtes de réseau.
Désormais, les distributeurs pourront se prévaloir à l’encontre des têtes de réseau d’une obligation générale d’information, non seulement au titre d’un texte spécial, à savoir les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, mais également au titre d’un texte général introduit dans le Code civil.
Les informations pouvant être requises au titre du nouvel article 1112-1 du Code civil semblent d’ailleurs plus larges que celles limitativement énoncées à l’article R. 330-1 du Code de commerce. Ainsi, dans le domaine de la franchise, il pourrait être légitime de se demander si les franchiseurs n’auront pas l’obligation de communiquer des comptes de résultats prévisionnels aux franchisés au titre du régime droit commun introduit par la réforme.
Enfin, la tête de réseau pourra désormais se fonder sur un texte spécifique permettant de justifier une action en responsabilité ou en nullité du contrat lorsque le distributeur ne lui aura pas communiqué les informations déterminantes de sa volonté de conclure le contrat.
Introduction de la notion de violence économique
S’agissant des conditions de validité d’un contrat, la notion de violence économique est introduite parmi les vices du consentement et sera constituée dès lors qu’une partie, abusant de l’état de dépendance de son cocontractant, obtient de ce dernier « un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (nouvel article 1143 du Code civil).
Dans le cadre de relations de distribution, il conviendra donc par exemple de considérer avec précaution les rapports noués avec un fournisseur dépendant, ou dans la mesure du possible de privilégier un partenaire commercial diversifié dans ses activités.
2. Sur le contenu des contrats
Notion de déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion
L’ordonnance du 10 février 2016 apporte une définition du contrat d’adhésion selon laquelle ce contrat « est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties » (nouvel article 1110 du Code civil).
Or, pour ce type de contrat, la réforme prévoit une disposition d’ordre public selon laquelle « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties sera réputée non écrite » (nouvel article 1171 du Code civil), étant précisé que cette appréciation ne peut porter ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
Ce texte servira très probablement de fondement aux réclamations de fournisseurs pour contester le contenu de contrats proposés par leurs distributeurs, ou inversement.
Les contractants auront désormais le choix de se fonder sur le texte spécial de l’article L. 442-6 I, 2°du Code de commerce – qui sanctionne l’imposition de droits et obligations déséquilibrés notamment par la mise en jeu de la responsabilité du partenaire ou la nullité de la clause – ou sur une disposition de droit commun suite à la réforme du Code civil.
En tout état de cause, il sera conseillé pour tout contractant de se ménager la preuve d’une négociation et d’éviter de proposer des contrats contenant des obligations unilatérales ou des droits disproportionnés ou discrétionnaires, et le cas échéant de les justifier de manière objective.
Encadrement de la fixation unilatérale des prix
La réforme du droit des obligations prévoit que pour les contrats cadres (à savoir les contrats de longue durée fixant des dispositions générales aux relations entre les parties), il pourra être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, « à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation » (nouvel article 1164 du Code civil).
En cas d’abus dans la fixation du prix, le cocontractant pourra saisir le juge afin d’obtenir des dommages et intérêts ou la résolution du contrat.
Cette disposition reprend la solution développée par la jurisprudence, à la différence que la charge de la preuve est inversée. Ainsi, dans l’hypothèse où cette faculté de fixation unilatérale du prix aura été stipulée expressément dans un contrat cadre de fourniture, le fournisseur devra conserver la preuve du bien-fondé de la fixation du prix de ses produits ou de sa variation en cours de contrat.
3. Sur l’exécution des contrats
Introduction de la théorie de l’imprévision
La réforme introduit dans le Code civil l’imprévision qui permet à une partie à un contrat de demander sa renégociation à son cocontractant « si un changement de circonstance imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». Le cocontractant demandant la renégociation doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. « En cas de refus ou d’échec de la renégociation », les parties pourront convenir de la résolution du contrat ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. Une partie pourra, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, demander au juge de réviser le contrat ou d’y mettre fin (nouvel article 1195 du Code civil).
Il convient de souligner que ce mécanisme de révision par le juge n’est pas qualifié d’ordre public. Sa mise en œuvre pourra dès lors être écartée ou organisée spécifiquement par les parties dans les contrats de distribution.
L’exception d’inexécution à titre préventif
La réforme introduit une nouvelle sanction en cas de mauvaise exécution du contrat selon laquelle une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle (nouvel article 1220 du Code civil).
La mise en œuvre de cette exception d’inexécution à titre préventif pourra s’avérer relativement utile en cas de non-respect des obligations prévues par un contrat de distribution. Il sera sans doute nécessaire de définir dans le contrat la notion de manquement « suffisamment grave » – voire de celle de risque de manquement « manifeste » – pour mettre en œuvre ce mécanisme. En effet, la partie concernée devra être en mesure de démontrer que les conséquences de l’inexécution anticipée présentent un degré de gravité suffisant, sous peine de voir sa responsabilité engagée.