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Publié le 30 août 2021 par Soulier Avocats

Réforme du droit français des sûretés : simplification et modernisation

La réforme du droit français des sûretés, initialement programmée pour mai 2021, devrait finalement voir le jour d’ici le 23 septembre 2021 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Elle s’effectue par voie d’ordonnance, en vertu de l’habilitation donnée par le législateur au gouvernement dans le cadre de la loi PACTE du 22 mai 2019.

Dans le prolongement de la réforme déjà opérée en la matière en 2006[1], la réforme de 2021 affiche une volonté claire de simplification et de modernisation du droit français des sûretés. Un objectif tout à la fois nécessaire et ambitieux puisque son périmètre impacte des pans majeurs de notre droit, tel que notamment le droit des entreprises en difficulté, également en cours de refonte à l’occasion de la transposition de la directive européenne du 19 juin 2019 (n°2019/1023) relative à la restructuration et l’insolvabilité.

Les objectifs de la réforme, tels qu’ils ressortent des orientations définies aux termes de l’article 60 de la loi PACTE[2], sont les suivants :

  • Améliorer la lisibilité et l’intelligibilité du droit des sûretés dans un souci de sécurité juridique et d’attractivité du droit français ;
  • Renforcer l’efficacité du droit des sûretés tout en garantissant l’équilibre des intérêts des créanciers, des débiteurs et des garants.

Un projet d’ordonnance a été diffusé en juin 2021 suite à la consultation organisée par la Chancellerie auprès de professionnels du droit, acteurs économiques et universitaires sur un avant-projet d’ordonnance publié le 18 décembre 2020. La publication de l’ordonnance doit intervenir d’ici le 23 septembre 2021 au plus tard.

Il existe traditionnellement deux catégories de sûretés : les sûretés personnelles et les sûretés réelles. Si la sûreté personnelle a pour objet d’adjoindre au débiteur principal un ou plusieurs autres débiteurs, la sûreté réelle a, quant à elle, pour objet d’affecter spécialement un ou plusieurs biens en garantie du paiement de la dette.

Le cautionnement, sûreté personnelle par excellence, est au cœur de cette réforme, mais certaines sûretés réelles seront également touchées.

Réforme du cautionnement

La réforme du 23 mars 2006 n’ayant pas concerné le cautionnement, il devenait indispensable de remanier cet instrument qui occupe une place importante en droit français, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en protégeant la caution personne physique.

Ainsi, et dans un objectif de simplification et d’unification, les dispositions légales le concernant sont regroupées au sein du Code civil alors qu’on les trouve actuellement également dans le Code de la consommation et le Code monétaire et financier. La garantie à première demande introduite en 2006 dans le Code civil n’est pas touchée par la réforme de 2021 et on peut espérer que les modifications aujourd’hui apportées au cautionnement seront de nature à régler les litiges portant sur la distinction entre ces deux garanties personnelles.

Le projet d’ordonnance intègre le cautionnement dans la définition de l’acte de commerce prévue à l’article L. 110-1 du Code de commerce. Sera ainsi réputé commercial, entre toutes personnes, le cautionnement d’une dette commerciale alors qu’il est aujourd’hui civil par nature, sauf dans certains cas définis notamment par la jurisprudence. Cette modification de la loi devrait permettre de réduire un important contentieux à ce sujet.

Le cautionnement donné par une personne physique et qui serait manifestement disproportionné par rapport aux revenus et au patrimoine de la caution pourra être réduit. Une sanction préférable pour le créancier bénéficiaire à l’impossibilité actuelle de se prévaloir de la caution.

Le projet d’ordonnance consacre l’obligation pour tout créancier professionnel de mettre en garde la caution personne physique « lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier »[3].

Le Code de la consommation impose aujourd’hui, à peine de nullité, l’insertion d’une mention manuscrite type pour les cautionnements émis par des personnes physiques au profit de créanciers professionnels[4]. Ce formalisme très stricte, source d’un contentieux abondant, sera remplacé par une nouvelle mention moins contraignante, désormais insérée dans le Code civil[5], qui profitera à toutes les personnes physiques et s’imposera à tous les créanciers.

Les obligations d’information de la caution, qui figurent actuellement dans le Code civil, le Code monétaire et financier et le Code de la consommation, seront groupées dans le Code civil et profiteront désormais à toutes les cautions personnes physiques engagées envers des créanciers professionnels. Le dispositif d’information annuel des cautions par les établissements de crédit, tel qu’il ressort actuellement de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, sera donc abrogé.

La caution pourra désormais opposer au créancier « toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur »[6], contre uniquement les exceptions inhérentes à la dette à ce jour[7], ce qui n’est pas sans porter atteinte au caractère accessoire du cautionnement. La réforme sur ce point devrait éviter un contentieux récurrent sur la détermination des exceptions purement personnelles au débiteur et de celles qui sont inhérentes à la dette.

Réforme de certaines sûretés réelles

Le projet d’ordonnance supprime un certain nombre de privilèges généraux ainsi que des gages spéciaux désormais obsolètes, au profit d’un régime unique de droit commun. Sont concernés par cette suppression le gage de stocks du Code de commerce, le gage automobile, le nantissement de matériels et outillage, les warrants pétroliers, hôteliers et les stocks de guerre et industriels.

Le nouvel article 2323 du Code civil résultant du projet d’ordonnance définit les sûretés réelles comme « l’affectation d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs, au paiement préférentiel ou exclusif du créancier », ce qui vise le gage, le privilège ou le nantissement.

Par ailleurs, le garant réel pourra désormais bénéficier du nouveau régime protecteur et des recours dont bénéficient les cautions personnes physiques aux termes de la réforme (en particulier, devoir de mise en garde, obligation d’information pour le créancier, bénéfice de discussion et de subrogation).

Dans un but de simplification et d’unification des sûretés immobilières, le projet d’ordonnance supprime la distinction entre les privilèges immobiliers. On distingue traditionnellement les privilèges immobiliers spéciaux (qui confèrent un droit de préférence et droit de suite sur un immeuble et permettent de saisir l’immeuble en quelques mains qu’il se trouve) des privilèges dits généraux qui portent sur tout le patrimoine du débiteur, dont les immeubles. Tous seront désormais des privilèges généraux intégrés dans le cadre des hypothèques légales.

Le projet d’ordonnance consacre la cession de créance à titre de garantie qui, contrairement à la cession de créances professionnelles dite « cession Dailly », viendra garantir tout type d’engagement et non pas seulement les opérations de crédit. Par ailleurs, la cession de sommes d’argent à titre de garantie, communément appelée « gage d’espèces » et très utilisée en pratique, fait son entrée dans le droit positif français[8].

Si, à l’analyse du projet d’ordonnance, les objectifs de simplification de cette réforme semblent être atteints, le renforcement de l’efficacité du droit des sûretés ainsi révisé devra être éprouvé à la lumière du droit français des entreprises en difficulté, lui aussi en cours de refonte dans le cadre de la directive européenne relative à la restructuration et à l’insolvabilité (cf. supra).


[1] Ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés

[2] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000038497746/

[3] Article 3 du projet d’ordonnance – article 2299 modifié du Code civil

[4] Article L. 331-1 du Code de la consommation

[5] Article 3 du projet d’ordonnance – article 2297 modifié du Code civil

[6] Article 3 du projet d’ordonnance – article 2298 modifié du Code civil

[7] Article 2313, alinéa 2 du Code civil

[8] Article 11 du projet d’ordonnance – article 2374 modifié du Code civil