Remboursement du consommateur après exercice de son droit de rétractation et notion de bien personnalisé
L’article L. 221-18 du Code de la consommation, issu de la loi du 17 mars 2014[1], accorde au consommateur un droit de rétraction pour tout achat sur internet, sans que ce dernier n’ait à supporter aucun frais. Plus précisément, sont concernés les contrats conclus à distance, hors établissement ou à la suite d’un démarchage téléphonique.
Par arrêt du 17 janvier 2018[2], la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle la sanction encourue par le professionnel qui ne rembourserait pas les sommes dues au consommateur, suite à l’exercice de son droit de rétractation. Par ailleurs, la Haute Juridiction précise la notion de « biens nettement personnalisés » figurant à l’article L. 221-28 du Code de la consommation et aux termes duquel le droit de rétractation ne peut pas être exercé.
Les faits de l’arrêt
Un consommateur avait passé commande d’un véhicule sur internet avec deux options : l’une relative à la couleur de la carrosserie et l’autre relative à l’installation d’une alerte à distance. L’acheteur avait versé un acompte de 10%. Quelques jours plus tard, le consommateur a annulé sa commande et a sollicité le remboursement de son acompte. En vain.
Il a alors assigné la société en restitution de cette somme, assortie des intérêts au taux légal tel que majoré par les paliers fixés à l’article L. 242-4 du Code de la consommation.
Rappel de la législation applicable
Selon le principe général de l’article L. 221-18 du Code de la consommation, le consommateur ayant procédé à un achat en ligne dispose de 14 jours pour changer d’avis. Ce droit est discrétionnaire.
Informé de sa décision de rétractation, le professionnel est tenu de rembourser au consommateur la totalité des sommes versées par ce dernier, y compris les frais de livraison et ce, sans retard injustifié et au plus tard dans les 14 jours suivant la date à laquelle il a été informé de la décision du consommateur (article L. 221-24 du Code de la consommation).
Afin que ce droit de rétractation soit effectif, l’article L. 242-4 du Code de la consommation prévoit une sanction particulière. Il dispose que « lorsque le professionnel n’a pas remboursé les sommes versées par le consommateur, les sommes dues sont de plein droit majorées
- du taux d’intérêt légal si le remboursement intervient au plus tard dix jours après l’expiration des délais légaux,
- de 5 % si le retard est compris entre dix et vingt jours,
- de 10 % si le retard est compris entre vingt et trente jours,
- de 20 % si le retard est compris entre trente et soixante jours,
- de 50 % entre soixante et quatre-vingt-dix jours et,
- de cinq points supplémentaires par nouveau mois de retard jusqu’à concurrence du prix du produit, puis du taux d’intérêt légal. »
Comme tout principe, le droit de rétractation connaît des exceptions. Ainsi, certains contrats, listés à l’article L. 221-28 du Code de la consommation, ne sont pas concernés par cette faculté de rétractation. Parmi ces contrats figurent « les contrats de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés. »
Dans l’affaire rapportée, la Cour de cassation s’est prononcée sur la portée des deux derniers articles susvisés.
La sanction de l’article L. 242-4 du Code de la consommation
A l’appui de son argumentation en contestation des sommes dues sur le fondement de l’article L. 242-4 du Code de la consommation, la société avait présenté trois questions prioritaires de constitutionnalité (« QPC ») à la Cour de cassation.
Elle prétendait que les dispositions de cet article étaient contraires aux principes constitutionnels du droit à un recours juridictionnel effectif, du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable et, enfin du droit de propriété (articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789).
Par arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de cassation avait refusé de transmettre ces trois QPC au Conseil constitutionnel[3].
La société a réitéré les termes de son argumentation en invoquant une contrariété de l’article L. 242-4 du Code de la consommation avec l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.
Dans son arrêt du 17 janvier 2018, la Cour de cassation reprend, en des termes similaires, sa solution consacrée en juillet 2017. Elle considère d’une part que la sanction de l’article L. 242-4 du Code de la consommation « ne prive pas le professionnel du droit à un procès équitable, dès lors que celui-ci peut engager une action devant une juridiction pour obtenir restitution des sommes qu’il aurait indûment remboursées au consommateur ou contester, en défense, la demande en paiement de ce dernier. ». D’autre part, elle considère que « cette sanction constitue une mesure propre à assurer la protection des consommateurs et à garantir l’effectivité de cette protection, en ce qu’elle est dissuasive ; que la majoration des sommes dues est progressive et ne s’applique qu’à l’issue d’un délai de dix jours après l’expiration du délai de quatorze jours à compter de la date à laquelle le professionnel est informé de la décision du consommateur de se rétracter. ». Dès lors « elle ne porte pas atteinte au droit de propriété et est proportionnée à l’objectif poursuivi. »
Ainsi, après avoir consacré la constitutionnalité du mécanisme de remboursement du consommateur à la suite de sa rétractation, la Cour de cassation confirme sa conventionalité.
La notion de bien nettement personnalisé de l’article L. 221-28 du Code de la consommation
Le second argument de la société était basé sur l’article L. 221-28 du Code de la consommation. Selon elle, en raison des deux options choisies par le consommateur, le contrat était devenu « nettement personnalisé » faisant ainsi obstacle au droit de rétractation de l’acheteur.
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser la notion de « biens nettement personnalisés »[4] de l’article L. 221-28 du Code de la consommation. Elle avait ainsi jugé que la demande d’immatriculation d’un véhicule n’avait pas pour effet de modifier la nature et la destination du véhicule en cause, de sorte que le bien n’était pas nettement personnalisé.
Cette solution n’était pas évidente puisque l’immatriculation d’un véhicule permet justement d’identifier une personne via le certificat d’immatriculation et donc, participe à la personnalisation du bien.
Dans la décision commentée, la Cour de cassation confirme son interprétation sévère de l’article L. 221-28 du Code de la consommation.
Ainsi, elle estime que « les options relatives à la couleur de la carrosserie et à l’installation d’une alerte de distance de sécurité n’avaient fait l’objet d’aucun travail spécifique de la part du vendeur et ne suffisaient pas à faire du véhicule un bien nettement personnalisé au sens de l’article L. 221-28 du Code de la consommation. »
A l’aune de ces décisions, la « personnalisation » visée par l’article L. 221-28 du Code de la consommation semble donc renvoyer à un véritable effort de la part du professionnel. Afin d’apprécier si l’option choisie par le consommateur « personnalise nettement le bien » le critère pourrait être celui de la banalité de l’option demandée.
Ainsi, en présence d’options communes (telles que la couleur d’un véhicule ou la mise en place d’un système de sécurité), si le consommateur initial change d’avis, le bien pourra certainement être revendu sans difficulté par le vendeur. Le droit de rétractation doit donc pouvoir être exercé. En revanche, en présence d’une option particulière conduisant le vendeur à réaliser un travail spécifique, la rétractation de l’acheteur initial pourrait être source de difficultés pour revendre le bien. Dans ce cas, le contrat portant sur ce bien particulier devrait être qualifié de « personnalisé » au sens de l’article L. 221-28 du Code de la consommation, empêchant ainsi le consommateur d’exercer son droit de rétractation.
Avec ce raisonnement, la Cour de cassation permet à la fois d’assurer la protection du consommateur tout en conservant les intérêts économiques du vendeur. En pratique, il reste à apprécier si les critères de distinction seront toujours aisés à appliquer.
[1] Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, transposant la Directive n° 2011/83/UE du 25 octobre 2011.
[2] Civ., 1ère, 17 janvier 2018, n° 17-10.255
[3] Civ., 1ère, 5 juillet 2017, n° 17-10.255
[4] Civ., 1ère, 20 mars 2013, n° 12-15.052