Rémunérations variables sur objectif : un revirement de jurisprudence salutaire pour les entreprises
Du fait de l’évolution jurisprudentielle en matière de rémunération des salariés, et plus précisément des possibilités de modification de la rémunération, les entreprises ont été confrontées à des difficultés pratiques et/ou à une insécurité juridique.
Par un arrêt du 2 mars 2011 (Cass.soc., n° 08-44.977), la Cour de Cassation revoit sa position et clarifie le régime de la modification des objectifs associés à une part variable.
Rappel des principes applicables à la modification de la rémunération:
La rémunération ne peut être modifiée, ni dans son montant ni dans sa structure, sans l’accord express du salarié (Cass.soc., 18 avril 2000, n° 97-43.706).
Ainsi est-il impossible de modifier un taux de commissionnement, de réduire un salaire fixe tout en augmentant la part variable ou d’intégrer une prime dans le salaire de base sans l’accord du salarié, et ce quand bien même la rémunération globale serait au final plus avantageuse.
Aucun accord tacite ne saurait être déduit de l’absence de réaction de la part du salarié : ainsi même le silence d’un salarié pendant 16 ans n’a pas été considéré comme une acceptation de la modification de sa rémunération! (Cass.soc., 2 juillet 2008, n° 07-40.702).
Ce principe trouve à s’appliquer de la même manière en cas de « modification indirecte » : il pourra s’agir d’une modification de lieu de travail, ce dernier ayant des conséquences en termes de chiffre d’affaires et donc de commissionnement, ou bien la suppression de certains produits de la liste des produits confiés à la vente à un commercial (Cass.soc., 2 juillet 2008, n° 07-40.702).
Si la modification de la rémunération est proposée pour raison économique, la procédure spécifique prévue à l’article L.1222-6 du Code du travail trouve à s’appliquer : l’employeur doit faire sa proposition détaillée de modification du contrat de travail par lettre recommandée avec accusé de réception et le salarié dispose alors d’un délai d’un mois pour refuser ladite proposition, son silence valant acceptation.
Cet accord tacite n’est applicable que pour les seules modifications d’origine économique.
Enfin, au regard de clauses contractuelles prévoyant la variabilité d’une rémunération, la Cour de cassation spécifiait en octobre 2007 qu’une clause contractuelle de variabilité de la rémunération ne peut être fondée que sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur (Cass.soc., 17 octobre 2007, n° 05-44.621).
Du fait de l’incertitude juridique née de cette évolution jurisprudentielle, les entreprises ont constaté une augmentation des refus par les salariés bénéficiant de rémunérations variables, de signer les avenants annuels définissant les objectifs réactualisés, ceux-ci s’accordant ainsi la possibilité de revendiquer ultérieurement l’application du dernier accord signé par les deux parties.
L’évolution jurisprudentielle en termes de fixation d’objectifs:
Dans un arrêt du 12 juillet 2000, la Cour de Cassation a posé le principe selon lequel « la fixation des objectifs doit résulter d’un accord entre les parties » (Cass.soc, n° 98-43.604).
Si dès 2001, la même Cour déclare que « les objectifs peuvent être définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction » (Cass.soc. 22 mai 2001, n° 99-41.838 et 99-41.970), les cas d’espèces visaient la motivation de licenciements basés sur une non atteinte des objectifs et non la rémunération assise sur des objectifs.
Les entreprises ont en conséquence rapidement retrouvé la possibilité de définir unilatéralement des objectifs aux fins d’une approche qualitative et/ou quantitative des prestations effectuées par les salariés concernés, mais rien ne permettait de conclure que la fixation unilatérale d’objectifs déterminant une part de la rémunération ne relevait pas de la modification « indirecte » requérant l’accord express du salarié tel qu’évoqué plus haut.
L’arrêt du 2 mars 2011 :
L’arrêt du 2 mars 2011 apporte une réponse claire aux entreprises comme aux salariés
- si le contrat de travail prévoit que les objectifs seront fixés d’un commun accord, la règle antérieure continuera à s’appliquer; ils ne pourront être modifiés qu’avec l’accord du salarié;
- si le contrat de travail prévoit que les objectifs sont fixés unilatéralement par l’employeur, celui-ci pourra le faire en toute légitimité, sous réserve que les objectifs soient raisonnables et que le salarié en ait eu connaissance en début d’exercice.
Conséquences pratiques :
Pour les contrats existants, cette évolution jurisprudentielle nécessitera de vérifier les termes précis du contrat de travail et des avenants ou plans de rémunération variable aux fins de contrôler si ces écrits sont conformes aux points évoqués ci-dessus.
Dans un certain nombre de cas, il conviendra de proposer un avenant en vue d’intégrer le principe de la fixation unilatérale des objectifs par l’employeur.
Pour les nouveaux salariés, les entreprises devront revoir en conséquence les termes de leurs contrats de travail et avenants de rémunération.
L’entreprise devra cependant strictement respecter les conditions énoncées par la Cour de Cassation. La notion de « début d’exercice » est suffisamment incertaine pour que des contestations puissent naître de ce fait. L’entreprise se devra donc de s’organiser afin que la communication des objectifs sur lesquels sont assis des rémunérations variables soit faite au plus tôt après le début de l’exercice considéré.
Enfin, il sera rappelé que depuis 2008, la Cour de Cassation exige la plus grande transparence des entreprises au regard des rémunérations variables, posant le principe que le salarié doit être en mesure de vérifier qu’il a bien perçu ce qui lui était dû à ce titre.
L’entreprise est donc tenue de communiquer à chaque salarié l’ensemble des bases de calcul de sa rémunération variable. A défaut d’une telle communication, le salarié est en droit de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, rupture qui sera imputée à l’employeur du fait de ce défaut d’information considéré comme un manquement contractuel. Dans un tel cas, l’entreprise s’expose aux conséquences financières d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.