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Publié le 3 septembre 2024 par Jean-Luc Soulier

Responsabilité civile et pénale du dirigeant et délégations de pouvoirs : Vade mecum and modus operandi

L’organisation du management de leurs filiales en France est un sujet majeur pour les groupes français et étrangers.

La désignation de cadres dirigeants à des postes de président ou de directeur général répond en partie à cette problématique. Elle ne répond cependant pas toujours aux nécessités d’une gestion quotidienne, surtout lorsque le représentant légal désigné se trouve éloigné du lieu d’exploitation.

D’où le recours de plus en plus fréquent aux délégations de pouvoirs.

Le but de cet article est de décrire de manière pratique les principes gouvernant la responsabilité des dirigeants et des sociétés qu’ils représentent ainsi que les conditions de validité des délégations de pouvoirs qu’ils consentent.

La délégation de pouvoirs est un acte juridique par lequel une autorité (le délégant) se dessaisit d’une fraction des pouvoirs qui lui sont conférés et les transfère à une autorité subordonnée (le délégataire). Le délégataire assume alors les obligations et les responsabilités liées aux pouvoirs qui lui ont été délégués.

Le domaine d’application et les conditions de validité et de mise en œuvre de la délégation de pouvoirs ont été progressivement définis et affinés par la jurisprudence.

L’intérêt de la délégation de pouvoirs est de faire peser sur les véritables décideurs, et non sur le seul chef d’entreprise, les conséquences pénales de leurs actes ou de leurs omissions.

1. La responsabilité au sein de l’entreprise

1.1 Le principe de la responsabilité pénale des dirigeants

La responsabilité pénale des dirigeants peut être engagée dans deux hypothèses :

  • Le dirigeant a commis personnellement des infractions à l’occasion de son activité (abus des biens et du crédit de la société, de majorité, embauche de travailleurs clandestins…).

Auteur matériel des faits incriminés, il est pénalement responsable de ses actes. C’est l’application du principe de la responsabilité pénale en raison de son propre fait (article 121-1 du code pénal).

Aucune exonération de la responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise n’est possible dans ce cas. Il ne peut invoquer l’existence d’une délégation de pouvoirs comme moyen de défense.

  • Le dirigeant peut être également déclaré responsable des infractions réalisées matériellement par un préposé.

La jurisprudence retient la responsabilité pénale des dirigeants lorsque l’auteur matériel de l’infraction est un salarié ayant agi à l’occasion de ses fonctions. Il appartient en effet aux dirigeants de respecter personnellement et de faire respecter par les salariés de l’entreprise la réglementation applicable.

1.2 Les dirigeants concernés

Les dirigeants dont la responsabilité pénale peut être engagée au regard de leurs obligations personnelles sont ceux visés par les lois et règlements relatifs aux sociétés (les gérants de SARL, le président, le directeur général, les directeurs généraux délégués, le président du directoire, les administrateurs de SA et de SAS…et, plus généralement, toutes les personnes qui détiennent le pouvoir de direction dans tous les types de sociétés).

1.3 Les infractions concernées

La responsabilité pénale des dirigeants peut être engagée sur le fondement de toutes les infractions prévues dans le code pénal et de toutes les lois pénales spéciales (en matière sociale, financière, d’environnement, d’hygiène et de sécurité…).

Les poursuites engagées contre le chef d’entreprise peuvent coexister avec celles engagées contre le préposé qui a matériellement commis l’infraction et contre la personne morale.

1.4 Responsabilité pénale de la personne morale

La responsabilité pénale de la personne morale peut être mise en cause dans le cas où un organe ou un représentant de la personne morale a commis une infraction pour le compte de cette personne morale (article 121-2 du code pénal).

A. Un organe ou un représentant de la personne morale

Il s’agit de l’individu ou de l’organe investi du pouvoir d’assurer le fonctionnement d’une personne morale (président, directeur général, gérant, assemblée générale…).

L’administrateur provisoire, le liquidateur d’une société, le mandataire spécial et les personnes titulaires d’une délégation de pouvoirs peuvent également être considérés comme des représentants de la personne morale.

B. La commission d’une infraction

Une personne morale est responsable pénalement dès qu’une personne physique (membre d’un organe ou représentant de cette personne morale) a commis une faute (pour le compte de cette personne morale) engageant sa responsabilité pénale personnelle (en sa qualité de membre de l’organe ou de représentant).

C. Pour le compte de la personne morale

Est considérée comme une infraction commise pour le compte de la personne morale une infraction commise dans l’intérêt de cette dernière (intérêt financier, stratégique…).

En revanche, l’organe ou le représentant qui a agi dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions mais pour son propre compte et dans son seul intérêt personnel, voire même au préjudice de la personne morale, n’engage pas en principe la responsabilité pénale de la société.

Lorsqu’un dirigeant commet une faute engageant la responsabilité de la personne morale, cette faute peut également engager sa responsabilité personnelle si elle revêt un caractère « séparable » ou « détachable » de ses fonctions.

Tel est le cas lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales.

2. La délégation de pouvoirs

2.1 Conditions de la délégation de pouvoirs

A. Conditions tenant à la personne à du délégataire

En principe, la délégation doit être consentie à un préposé, c’est-à-dire à un salarié titulaire d’un contrat de travailavec la société concernée.

La délégation de pouvoirs peut être consentie à tout préposé, quelle que soit sa place dans la hiérarchie de l’entreprise, dès lors qu’il dispose de la compétence, des moyens et de l’autorité nécessaires pour veiller efficacement au respect des mesures édictées par la loi et les règlements.

Un rapport de subordination doit exister entre le délégant et le délégataire.

Dans l’hypothèse d’un groupe de sociétés, il est admis qu’une délégation de pouvoirs peut être consentie par le dirigeant du groupe à un salarié d’une autre société du groupe sur lequel il exerce un pouvoir hiérarchique. Dans une telle hypothèse, la jurisprudence en vigueur a reconnu l’existence d’un rapport de subordination bien qu’il n’existe pas de relation directe employeur/employé entre le délégataire et la société dans laquelle il exerce sa délégation.

Mis à part cette hypothèse, une personne extérieure à l’entreprise ne peut pas recevoir une délégation de pouvoirs. Il a ainsi été jugé qu’un dirigeant ne pouvait pas invoquer une délégation de pouvoirs donnée à un bureau d’études ou à une société extérieure de maintenance. En revanche, dans les SAS, le forme de société la plus souple en droit français, une personne extérieure peut être désignée directeur général.

La délégation de pouvoirs n’est valide que si le délégataire dispose de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour accomplir la mission qui lui est confiée.

a) La compétence

Pour que la condition liée à la compétence soit remplie, la jurisprudence considère que le délégataire doit disposer des connaissances techniques et juridiques correspondant aux prescriptions qu’il est chargé d’appliquer.

b) L’autorité

La jurisprudence considère que le délégataire doit disposer du pouvoir de donner des ordres, de les faire respecter et de faire cesser toute situation à risque.

Pour que le critère d’autorité soit rempli, il faut donc que le délégataire ait un minimum d’indépendance dans l’accomplissement de sa mission. Le délégataire ne saurait être astreint à en référer à son délégant avant toute décision.

c) Les moyens nécessaires

Le délégataire doit disposer des moyens humains, techniques et matériels pour accomplir réellement sa mission. En effet, le juge tient généralement pour responsable la personne qui dispose du pouvoir effectif de décider des investissements nécessaires au respect de la réglementation.

B. Les conditions tenant à la personne du délégant

Pour que la délégation de pouvoirs soit valide, le délégant doit appartenir à une entreprise d’une taille suffisante et ne pas être en mesure d’assurer personnellement une surveillance effective des activités et du personnel de l’entreprise.

Le chef d’entreprise n’a cependant pas à établir une impossibilité totale d’accomplir personnellement la mission objet de la délégation.

Les juges du fond se réfèrent à un certain nombre de critères pour déterminer si l’entreprise est suffisamment importante pour recourir à la délégation de pouvoirs. Les principaux critères retenus sont la masse salariale, la complexité de la structure de l’entreprise (par exemple l’éloignement des établissements), la nature de l’activité ou l’organisation du travail.

Les délégations de pouvoirs sont donc généralement mises en œuvre dans des entreprises comprenant plusieurs filiales ou des établissements distincts.

C. Les conditions tenant à la délégation de pouvoirs elle-même

La jurisprudence a dégagé plusieurs conditions de fond concernant la délégation de pouvoirs. Ces conditions ne sont pas limitatives et sont appréciées au cas par cas par les tribunaux.

La délégation de pouvoirs doit être certaine et exempte d’ambiguïté. Son bénéficiaire doit être clairement identifiable.

Elle doit être précise et avoir un champ limité. Une délégation de pouvoirs n’est pas valable s’il en résulte un abandon complet de ses responsabilités par le dirigeant.

La délégation de pouvoirs doit être pérenne. Elle doit donc avoir une durée suffisante.

Pour que la délégation soit valide, le dirigeant doit avoir délégué ses pouvoirs avant la commission de l’infraction, et ce afin d’éviter que des délégations soient accordées a posteriori dans le seul but de permettre aux dirigeants d’échapper à leur responsabilité pénale.

Enfin, le délégataire doit être informé précisément du contenu de la délégation (nature des pouvoirs transférés, objet et étendue de la mission, transfert de la responsabilité pénale du dirigeant…).

2.2 Conditions de la subdélégation

Le titulaire d’une délégation de pouvoirs a la faculté de transférer tout ou partie des pouvoirs qui lui ont été délégués à un subdélégataire.

Le mécanisme des subdélégations successives ne doit cependant pas déplacer la responsabilité sur de simples exécutants ni aboutir à une confusion sur le point de savoir qui exerce en définitive la responsabilité et encourt les sanctions. C’est pourquoi la jurisprudence n’accepte les délégations en cascade que dans des conditions très encadrées.

Le subdélégant doit s’assurer que son délégataire est pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens propres à l’accomplissement de sa mission et est en mesure d’assurer les responsabilités qui lui sont confiées.

Le subdélégataire doit remplir les conditions requises par la jurisprudence s’agissant du délégataire. Il n’est pas nécessaire en revanche que le dirigeant, auteur de la délégation initiale, ait préalablement autorisé cette subdélégation.

2.3 Spécificité des délégations de pouvoirs intra-groupe

La spécificité de la délégation intra-groupe réside dans le fait que le délégataire n’est pas préposé de la société du groupe dans laquelle la délégation de pouvoirs a vocation à s’exercer. Le plus souvent la délégation est conférée par le dirigeant de la société mère à un préposé de cette société ou d’une de ses filiales en vue d’exercer des pouvoirs dans une autre société du groupe (voire dans plusieurs autres sociétés du groupe).

Le principe même de délégation intragroupe apparait être en contradiction avec la notion d’autonomie juridique des sociétés.

Les tribunaux ont néanmoins validé de telles pratiques qui sont de plus en plus utilisées au sein des groupes de sociétés.

2.4 Une délégation de pouvoirs ne peut être invoquée pour les actions engagées sur le fondement de la responsabilité civile

L’action en responsabilité civile engagée contre une personne physique ou contre une personne morale est ouverte à toute victime pour assurer la réparation du préjudice subi. Elle reste personnelle et pèse sur la personne à l’origine du dommage. Le délégant ne peut donc invoquer une délégation de pouvoirs pour s’exonérer de sa responsabilité civile.

La responsabilité civile de la société peut toujours être engagée en raison des actes commis par un préposé.

En effet, conformément à l’article 1242 alinéa 5 du code civil, la société répond des faits commis par ses salariés dans l’exercice de leurs fonctions, peu importe le fait que par le jeu d’une délégation de pouvoirs le salarié soit pénalement responsable. Ce principe est confirmé par l’article L. 4741-7 du code du travail.

Pour que la responsabilité civile de la société employeur soit engagée, il faut que le préposé soit resté dans le cadre de ses fonctions et qu’il n’ait pas agi à des fins étrangères à ses attributions ou contraires à celles-ci.

Ce n’est qu’à la triple condition que le préposé ait agi en dehors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions, que le commettant pourra se voir exonérer de sa responsabilité civile.

La personne morale répond également des fautes dont elle s’est rendue coupable par l’intermédiaire de ses organes sans qu’il soit nécessaire de mettre en cause personnellement lesdits organes. Pour mettre en œuvre la responsabilité civile de la personne morale, deux conditions doivent cependant être remplies :

  • L’acte doit être commis par une personne investie du pouvoir de représentation.
  • L’acte doit être passé au nom et pour le compte de la personne morale.

La société peut garantir ses dirigeants personnes physiques et leurs délégataires contre les conséquences pécuniaires de la mise en jeu de leur responsabilité civile personnelle ou solidaire. La société peut souscrire une assurance à cet effet. Cependant, une telle garantie ne peut jouer lorsque la responsabilité pénale du dirigeant ou du délégataire est engagée.