Rupture des pourparlers d’une cession de fonds de commerce – Pas d’abus en l’absence d’accord des parties sur le prix
Le 16 février 2016, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt[1] intéressant concernant la rupture abusive des pourparlers. Cette décision, qui s’inscrit dans la lignée des décisions précédemment rendues en la matière, apporte des précisions complémentaires au sujet de la rupture de négociations engagées dans le cadre de la cession d’un fonds de commerce.
En l’espèce, l’exploitant d’un restaurant avait mis un terme à ses discussions avec un potentiel acquéreur de son fonds de commerce alors même que les documents relatifs à la vente avaient déjà été transmis au notaire en charge de la rédaction de l’acte de cession. Selon la Cour de cassation, les parties pouvaient encore à ce stade, en l’absence d’accord sur le prix de cession, se retirer librement des négociations, les discussions n’étant pas suffisamment avancées pour que la rupture puisse se voir qualifiée d’abusive.
Article rédigé en collaboration avec Elodie Baud, Elève-avocat
La conclusion d’un contrat est fréquemment précédée d’une période de pourparlers, des négociations étant nécessaires en vue de fixer les conditions des engagements réciproques des parties.
Pendant cette période de pourparlers, les parties évoluent généralement en dehors de tout cadre contractuel. Elles sont donc par principe libres de mettre fin à tout moment aux négociations.
Cependant, cette liberté de rupture n’est pas totale et s’exerce dans la limite du respect, par chacune des parties, d’une obligation de bonne foi. En effet, en cas d’abus résultant des circonstances de la rupture, la partie à l’initiative de celle-ci peut se voir condamner à des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
En pratique, différents éléments sont susceptibles d’être pris en compte par les juges dans leur appréciation du caractère abusif de la rupture : stade avancé des pourparlers, croyance légitime de l’autre partie, brutalité de la rupture, intention de nuire, rupture trop tardive …
Si une certaine éthique doit donc imprégner cette période de discussions qui s’avère souvent longue et nécessite de lourds investissements financiers, le risque de condamnation à des dommages et intérêts ne doit pas pour autant constituer un obstacle à la sortie des pourparlers.
La Cour de cassation rappelle ainsi fréquemment que des considérations d’ordre économique, un audit révélant des informations défavorables juridiques ou financières sur la situation de la cible[2] ou l’abandon d’un projet non viable[3] sont autant de motifs valables pour interrompre une négociation.
Par ailleurs, depuis le célèbre arrêt « Manoukian » rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 novembre 2003[4], le montant des dommages et intérêts auxquels l’auteur d’une rupture fautive peut être condamné est limité aux seules dépenses engagées dans le cadre des négociations et de l’étude de la faisabilité du projet ; la perte des bénéfices attendus du futur contrat n’est pas prise en compte dans le calcul des dommages et intérêts.
Dans un arrêt récent rendu le 16 février 2016 par la chambre commerciale de Cour de cassation, des précisions ont cette fois-ci été apportées sur la notion même d’abus dans la rupture des pourparlers.
En l’espèce, des négociations avaient été entamées en vue de la cession d’un fonds de commerce. Le cédant y avait mis un terme avant qu’un accord sur le prix de vente ne soit trouvé. Le potentiel acquéreur avait alors engagé la responsabilité délictuelle du cédant, estimant que les pourparlers, alors même qu’aucun accord sur le prix n’avait été trouvé, étaient à un stade très avancé de sorte que la rupture ne pouvait être qu’abusive. Il s’appuyait notamment sur le fait que des documents juridiques et comptables avaient été transmis par le cédant au notaire pour que ce dernier procède à la rédaction des actes.
Selon la Cour de cassation, une telle rupture n’était pas fautive, en effet en l’absence d’accord sur l’ensemble des éléments de la cession, et notamment du prix, les pourparlers n’étaient pas à un stade suffisamment avancé pour que leur rupture soit qualifiée d’abusive.
En rappelant qu’un des grands principes qui domine la période précontractuelle est celui de la liberté, la Cour adopte une position rassurante pour les potentiels investisseurs. En effet tant que le prix de cession ne sera pas fixé, la rupture abusive pourra plus difficilement être établie et le risque pour la partie à l’initiative de la rupture d’être condamnée à des dommages et intérêts s’éloigne un peu plus.
Cette articulation du principe de liberté de rupture des pourparlers avec celui de bonne foi, proposée par la Cour de cassation dans l’arrêt évoqué ci-dessus, mérite d’être gardée à l’esprit. En effet, l’article 1112 du Code civil consacre ces mêmes principes dans sa version issue de la réforme du droit des contrats et dont l’entrée en vigueur est attendue au 1er octobre 2016.
[1] Cass. Com., 16 fev. 2016, n°13-28.448
[2] Cass. com., 20 nov. 2007, no 06-20.332
[3] Cass. com., 4 oct. 1982, no 80-16.177
[4] Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243