Salariés itinérants : Attention, nouveau danger à l’horizon !
Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 10 septembre 2015 (Aff. C-266/14) lance un pavé dans la mare française, dont l’eau peut déjà être considérée comme trouble en termes de durée du travail.
Cet arrêt est susceptible de générer une nouvelle source de contentieux pour les entreprises qui emploient des salariés itinérants.
Cet arrêt, en réponse à une question préjudicielle espagnole, précise que tous les temps de trajet des salariés itinérants sans lieu de travail fixe ou habituel, doivent être considérés comme temps de travail effectif. Doivent donc être pris en compte tous les trajets journaliers entre le domicile et les lieux de travail.
Dans l’affaire en cause, les salariés, techniciens itinérants sans lieu de travail fixe, se voyaient décompter leur temps de travail à compter de leur heure d’arrivée chez leur premier client jusqu’à leur heure de départ de chez le dernier client de la journée. La distance séparant leur domicile de leurs lieux d’intervention était variable, pouvant aller jusqu’à 3 heures.
La Cour de justice déclare que, lorsque des travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur constitue du temps de travail au sens de la Directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
Voilà de quoi inquiéter les entreprises françaises, la loi et la jurisprudence françaises n’étant pas aussi strictes sur le sujet.
En effet, à ce jour, le code du travail, en son article L.3121-4 dispose :
« Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire. »
Le code du travail ne fait nulle distinction pour les salariés qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel.
Il doit cependant être rappelé que les temps de déplacement inclus dans l’horaire de travail du salarié sont toujours considérés comme du temps de travail effectif.
La jurisprudence quant à elle, en l’absence de disposition législative expresse, considère qu’il revient au juge du fond de rechercher si le temps de trajet de ces salariés itinérants pour se rendre de leur domicile jusqu’à leurs lieux d’intervention, dépasse le temps de trajet « normal » d’un salarié pour se rendre sur son lieu de travail.
La situation des salariés itinérants en France au regard de leurs temps de trajet est donc variable selon les entreprises, dont certaines ont pu négocier des accords à ce titre en vue d’établir des règles précises en la matière. Les autres entreprises tentent de gérer au mieux les compensations prévues à l’article L. 3121-4.
La situation présente n’est donc pas confortable du fait d’une certaine insécurité juridique.
Les conseils des salariés semblent voir dans cet arrêt de nouvelles perspectives de contentieux. Il faut admettre que les sommes en cause pourraient les motiver. Si nous prenons en compte un temps moyen de trajet de 2 heures par jour entre le domicile et le lieu de travail, chaque salarié itinérant pourrait réclamer environ 450 heures par an. Si l’arrêt de la CJUE mentionne expressément que son interprétation ne vise que la qualification du temps et non sa rémunération, dont les règles relèvent du droit national, il n’en reste pas moins qu’à ce jour en France tout temps de travail effectif doit être rémunéré et décompté pour le calcul des heures supplémentaires.
Se pose la question de l’applicabilité de la jurisprudence européenne devant les tribunaux français. A cet égard, la situation n’est sans doute pas aussi transparente qu’on le souhaiterait. Il semblerait que la position dominante en la matière soit l’absence d’effet direct horizontal, c’est-à-dire l’impossibilité pour un particulier de se prévaloir de la jurisprudence européenne devant les tribunaux français, tant que la loi française prévoit des dispositions contraires. Un salarié français lésé par la non-conformité de la loi ne devrait pouvoir obtenir que des dommages et intérêts en formant un recours contre l’Etat français, l’entreprise ne pouvant être condamnée pour s’être conformée aux loi et jurisprudence françaises. Les conseils des salariés mettront cependant en avant le principe de la primauté du droit communautaire. Les tribunaux trancheront.
Nous ne pouvons que craindre de nouveaux contentieux. Les entreprises ayant des salariés itinérants sans lieu de travail fixe et habituel auraient sans doute intérêt à faire le point sur leur gestion de ces temps de trajet domicile-lieu de travail pour tenter de limiter les risques en la matière.