Secret n’est pas dissimulation
A l’heure où certains politiques sont tentés de se « servir du cercueil d’une gamine de douze ans comme on se sert d’un marchepied » pour promouvoir leurs idées et une haine mortifère, où d’autres achètent le nom de domaine correspondant au prénom de la petite victime d’un crime odieux, où une enquête est ouverte pour violation du secret de l’instruction après l’interview d’un policier livrant des détails sur ce fait divers abject, il apparait indispensable de rappeler l’importance – au-delà du respect normalement dû à la victime – d’une valeur cardinale de notre état de droit : le secret de l’enquête et de l’instruction.
Article rédigé en collaboration avec Victor Trouttet
Cet article a été publié sur le site du journal La Croix.
Le secret de l’enquête et de l’instruction est un principe très ancien. Dès 1498, l’ordonnance de Blois précisait que le procès devait se tenir « le plus diligemment et secrètement que faire se pourra ». L’ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539, réaffirmait l’importance du secret en matière de justice et disposait que les témoins devront être interrogés « secrètement et à part ». Mais c’est bien l’ordonnance criminelle du 26 août 1670 qui affirme cette règle du secret de l’instruction et qui pose l’interdiction « de communiquer les informations et autres pièces secrètes du procès ».
Après une courte période de publicité lors de la phase post-révolutionnaire de 1789, le Code d’Instruction criminelle de 1808 rétablissait le caractère secret de la phase préparatoire du procès. Ce principe est aujourd’hui établi. Mérite-t-il de persister ?
S’il est vrai que c’est un principe fondamental de notre Etat de droit, il s’avère qu’il s’accorde mal à notre société impatiente où la transparence est érigée – injustement – en vertu absolue.
Le secret de l’instruction est la clef de voûte de notre système inquisitoire. Il a deux pendants permettant d’assurer l’équilibre entre les pouvoirs publics. D’une part il permet le bon déroulement de l’enquête et de l’instruction, d’autre part il assure à tous les protagonistes de cette enquête ou de cette instruction un certain respect de leur vie privée et de la présomption d’innocence.
Assurément, le secret va garantir la protection des preuves et des témoignages, va permettre la mise en place d’une stratégie d’enquête et ainsi être indispensable à la manifestation de la vérité. Surtout, il est garant de la présomption d’innocence. C’est ce secret qui va permettre à la personne accusée, parfois à tort, d’interdire que de nombreuses informations privées ne se répandent sur la place publique.
Le secret de l’enquête et de l’Instruction est donc fondamental. Malheureusement, il subit aujourd’hui l’assaut incessant de réseaux multiples inspirant parfois des chaînes d’informations n’ayant qu’un seul mantra : l’audience.
Les différents acteurs de la procédure pénale ne sont pas plus vertueux et n’hésitent pas de plus en plus à trahir ce secret, à tel point que certains auteurs ont pu évoquer un secret de polichinelle.
Ces trop fréquentes violations s’expliquent par d’hypothétiques sanctions s’avérant trop peu dissuasives.
Pourtant, respecter ce secret, qui n’a pas pour but de cacher la vérité, apparait essentiel. En effet, dans notre société où le moindre sentiment issu d’un tweet peut être réutilisé sans vérification par certaines chaines d’informations, où l’un des animateurs d’une émission regardée par des millions de téléspectateurs cède au populisme pénal et appelle à un procès rapide, sans avocat pour la personne mise en cause dans la tragédie de la petite Lola, il est plus que nécessaire de ne pas laisser des informations confidentielles –-normalement réservées aux acteurs de la chaîne pénale – tomber dans le domaine public.
Ce secret agit comme un garde-fou dans une société avide d’informations, impatiente et où l’instantanéité de l’affirmation – de l’accusation – prime sur l’établissement de la vérité. Il est l’un des fondements de notre pacte républicain et empêche notamment qu’une condamnation médiatique définitive ne pèse sur un individu qui sera peut-être, in fine, jugé innocent.
On le comprend donc, ce secret en perdition doit être sauvegardé.
Mais cette sauvegarde ne passerait-elle pas par une évolution du secret de l’enquête et de l’instruction ? Le législateur, dès les années 2000, l’avait compris en autorisant au Procureur de la République des « fenêtres de tir » permettant d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public. Aujourd’hui ne devrait-on pas, par exemple, autoriser le Procureur d’exercer son droit à l’information en dehors de ce cadre légal, en d’autres termes dès qu’il estime que sa communication a un intérêt public ? Ne pourrait-on pas permettre aux enquêteurs de communiquer sur certains éléments de l’enquête après autorisation d’un magistrat ?
Il est possible de tout imaginer mais il sera alors nécessaire de renforcer les sanctions en cas de violation du secret de l’enquête et de l’instruction, qu’elle émane d’un policier, d’un expert, d’un avocat ou d’un magistrat, afin que celui-ci retrouve son sens, sa force et son autorité.
C’est ainsi que pourra être évité le retour des procès en place publique, oubliés par leurs auteurs, mais jamais par leurs victimes.