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Publié le 30 janvier 2017 par Soulier Avocats

Le sort des réserves de crédit dans l’appréciation de la cessation des paiements

Par arrêt en date du 29 novembre 2016, la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’application de l’article L.631-1, alinéa 1er du Code de commerce relatif au sort des réserves de crédit ou les moratoires dont peut bénéficier une société débitrice, dans l’appréciation de son éventuel état de cessation des paiements.

L’occasion de rappeler ici les règles applicables en la matière et l’attention qu’il convient d’apporter, notamment au sein des groupes de sociétés, aux avances consenties aux entités ayant des difficultés financières.

Article rédigé en collaboration avec Lucas Chevaux, juriste-stagiaire

 

Dans cette affaire, une SCI contestait l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre, se prévalant, au titre de son actif disponible, d’une somme de 180.000 euros apportée au cours de l’instance d’appel par l’un de ses associés. La libération de cet apport, alors maintenu en séquestre, était toutefois conditionnée à l’infirmation du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire.

Alors que la Cour d’appel avait précisément refusé de prendre en compte cette somme séquestrée pour le calcul permettant d’établir l’état de cessation des paiements de la SCI, la Cour de cassation a sanctionné sa décision, considérant que cet apport constituait « une réserve de crédit de nature à entrer dans l’actif disponible de la SCI. »

Aux termes de l’article L631-1 alinéa 1er du Code de commerce « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. »

On rappellera que les procédures de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire sont ouvertes à tout débiteur qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements (articles L631-1 et L640-1 du Code de commerce).

Cet arrêt soulève d’une manière générale la question de la prise en compte des réserves de crédit dans le calcul permettant d’établir l’état de cessation des paiements d’une entreprise débitrice, dont l’enjeu peut être important, particulièrement au sein des groupes de sociétés.

L’occasion de rappeler les conditions dans lesquelles ces réserves de crédit ou avances de trésorerie peuvent être considérées comme de l’actif disponible de la société (I) ou au contraire, dans certaines circonstances, du passif exigible (II).

 

1. La réserve de crédit : élément de l’actif disponible

 

L’Ordonnance n° 2008-1345 du 18 février 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficultés, a consacré la notion de « réserves de crédit » aux termes de l’article L631-1 du Code de commerce qui comme indiqué ci-avant, prévoit que « Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. »

Le législateur s’est cependant abstenu de donner une définition légale de la réserve de crédit.

Dès lors, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a régulièrement eu l’occasion de préciser les contours de la notion de « réserve de crédit » en tant qu’actif disponible de la société en difficulté, « actif lui permettant de faire face à son passif exigible »[1], tel que notamment des aides supplémentaires accordées par les établissements financiers, des sommes prêtées par les associés et/ou dirigeants ou la société, mais également des crédits fournisseurs provenant de leurs partenaires financiers[2].

S’agissant des conditions dans lesquelles ces sommes peuvent être considérées comme des actifs disponibles, et après avoir considéré en 2009 que « les dettes financières de la société à l’égard des autres sociétés du groupe font partie de ce passif, même si […] leur remboursement n’a pas été demandé »[3], puis décidé en 2010 qu’une « avance en compte courant, qui n’est pas bloquée ou dont le remboursement n’a pas été demandé, constitue un actif disponible », la Chambre commerciale de la Cour de Cassation a finalement clarifié le point aux termes d’un arrêt du 16 novembre 2010[4] en jugeant, au visa de l’article L631-1 du Code de commerce, qu’une « avance de trésorerie qui n’est pas bloquée ou dont le remboursement n’a pas été demandé, constitue un actif disponible ».

Cet arrêt de novembre 2010 a ainsi permis de définir la place qu’il convenait de donner aux réserves de crédit dans l’actif disponible d’une société en difficulté. Il convient toutefois de préciser que ces avances ou réserves peuvent à l’inverse, et dans certaines circonstances, constituer du passif exigible de la société débitrice concernée.

 

2. Soutien financier anormal : passif exigible

 

La comptabilisation des réserves de crédits en tant qu’actif disponible de la société trouve sa limite dans la finalité des avances consenties, dès lors qu’elles ont eu pour effet de masquer l’état de cessation des paiements de la société.

La Cour de cassation a en effet jugé en 2011 que des apports en compte courant d’associés faisaient partie du passif exigible de la société dès lors que le maintien de son activité « n’a été possible qu’au moyen d’une trésorerie artificiellement entretenue par les avances en compte courant que lui a versées sa société mère, lesquelles n’ont fait que retarder la constatation de la cessation des paiements », et de rajouter que le crédit accordé « revêtait incontestablement un caractère artificiel et résultait de circonstances anormales »[5].

C’est ici le caractère artificiel de la trésorerie de la société et les circonstances anormales des sommes versées qui sont mises en avant par la Cour pour ne pas intégrer les réserves de crédit au sein de l’actif disponible.

Au-delà de placer la société débitrice en état de cessation des paiements, cette jurisprudence permet au juge, ainsi que le lui permet la loi[6], de faire remonter la date de cessation des paiements à la date à laquelle les avances auront été consenties (dans la limite de dix-huit mois)[7]. Une telle décision n’est pas sans conséquence pour la société, ses dirigeants et ses actionnaires, dont les actes accomplis entre cette date et la date d’ouverture de la procédure collective (dite période suspecte) pourraient, dans certaines circonstances, être remis en cause ou susceptibles d’engager la responsabilité de ces derniers.

Une attention toute particulière doit dès lors être attachée aux circonstances dans lesquelles, notamment au sein des groupes de sociétés, des avances sont consenties au profit de sociétés en difficulté ou structurellement déficitaires.

 

[1] Cour de cassation, Chambre commerciale, 6 juillet 2010; n°09-14937 ; Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 février 2011, n°10-13625

[2] La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 6, 9 Février 2012, 1102, Frédéric  Arbellot

[3] Cour de cassation, Chambre commerciale, 24 mars 2009, n°08-12212

[4] Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 novembre 2010, n°09-71.278

[5] Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 Mai 2011, n°10-30.425

[6] Article L631-8 du Code de Commerce

[7] Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 juin 1989, n°87-20204