Transposition de la Directive UE 2017/828 renforçant l’engagement à long terme des actionnaires de sociétés cotées
Le 17 mai 2017 a été adoptée la directive UE 2017/828 du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires de sociétés cotées (la « Directive UE 2017/828 »).
Cette révision de la directive vise à faire évoluer les pratiques, révélées par la crise financière, qui, en favorisant les rendements à court terme, induisent une gouvernance d’entreprise et des performances non optimales. La Directive UE 2017/828 introduit de nouvelles dispositions permettant aux actionnaires, rendus plus facilement identifiables, de se prononcer sur la rémunération des administrateurs de l’entreprise. De nouvelles obligations de transparence sont mises à la charge des investisseurs institutionnels –tels que les fonds de retraite et les compagnies d’assurance vie–, des gestionnaires d’actifs ainsi que des conseillers en vote. En outre, certaines transactions, identifiées comme pouvant être préjudiciables pour la société, devront faire l’objet d’une publication et être approuvées par le biais de procédures garantissant la protection des intérêts de la société et de ses actionnaires. Permettant aux États membres d’adopter ou de conserver des dispositions plus strictes pour faciliter davantage l’exercice des droits des actionnaires, la Directive UE 2017/828 doit être transposée avant le 10 juin 2019.
L’intervention nécessitée des institutions de l’Union Européenne en matière de droits des actionnaires : la directive « Droit des actionnaires I »
Dès le début des années 2000, la Commission européenne suggérait des initiatives pour faire face aux dysfonctionnements liés aux votes des actionnaires transfrontaliers, notamment au blocage des actions, à l’accès insuffisant ou tardif à l’information ou encore aux conditions auxquelles était soumis le vote à distance.
C’est dans ce contexte que le Parlement européen et le Conseil ont adopté le 11 juillet 2007 une directive relative à l’exercice de certains droits des actionnaires des sociétés cotées, dite directive « Droit des Actionnaires I » (la « Directive 2007/36/CE »), laquelle a mis en place notamment :
- L’égalité des actionnairesau travers (i) du délai de préavis de 21 jours pour convoquer les actionnaires de sociétés cotées aux assemblées générales, (ii) de la publication sur le site web de l’émetteur de toutes les informations nécessaires à l’assemblée générale, (iii) du droit pour les actionnaires d’inscrire des points à l’ordre du jour de l’assemblée générale et de déposer des projets de résolution, (iv) du vote par voie électronique ou procuration, et enfin (v) du droit de poser des questions[1];
- L’identification des actionnaires, tout en laissant le choix aux Etats membres, la possibilité de prévoir que les sociétés dont le siège social se trouve sur leur territoire seront autorisées à identifier les actionnaires détenant une participation excédant 0,5% du capital uniquement. A ce titre, les intermédiaires financiers devaient communiquer à la société les informations concernant l’identité des actionnaires, nonobstant la chaine d’intermédiaires qui pouvait exister ;
- L’information des actionnaires, en imposant aux intermédiaires de fournir aux actionnaires toutes les informations nécessaires à ces derniers pour l’exercice des droits découlant de leurs actions ; et
- L’encadrement des activités exercées par les intermédiaires, en prévoyant l’obligation pour ces derniers de transmettre sans délai à la société les instructions reçues des actionnaires concernant l’exercice des droits découlant de leurs actions.
En France, l’adaptation de l’exercice de certains droits par les actionnaires de sociétés cotées aux dispositions de la Directive 2007/36/CE [2]a eu notamment pour effet d’accroître la protection de l’actionnaire représenté votant par procuration aux assemblées générales, le choix du mandataire n’étant plus limité[3].
Toutefois, si l’approche très libérale de la Directive 2007/36/CE a replacé les actionnaires au centre du système sociétaire, elle a également eu pour effet d’inciter les actionnaires à réévaluer les stratégies des dirigeants en vue de poursuivre des objectifs à court terme plus lucratifs.
Suite à la crise des subprimes en 2008, la Commission s’interrogea alors sur la gouvernance des établissements financiers avant d’élargir sa réflexion à la gouvernance des entreprises et plus précisément aux pratiques nuisibles que sont le court-termisme et la prise excessive de risque[4].
C’est ainsi qu’est né un livre vert sur la gouvernance d’entreprises dans l’Union Européenne et que des travaux sur l’avenir de droit européen des sociétés furent amorcés.
Une révision du droit des actionnaires de sociétés cotées en vue de promouvoir l’engagement à long terme : la directive « Droit des actionnaires II »
Dans sa communication du 12 décembre 2012 intitulée « Plan d’action sur le droit européen des sociétés et la gouvernance d’entreprise – Un cadre juridique moderne pour une plus grande implication des actionnaires et une meilleure viabilité des entreprises », la Commission a annoncé plusieurs initiatives ayant pour objectif de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires et d’améliorer les règles de transparence entre les sociétés et leurs investisseurs.
Ces initiatives sont reprises dans la Directive UE 2017/828 laquelle tente de remédier à l’engagement insuffisant des actionnaires et le manque de transparence tant dans la gouvernance des sociétés que chez les investisseurs et leurs prestataires en mettant en place des mesures dont quelques unes seront transposées en droit français par le biais de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (la « loi PACTE[5] »).
En effet, la loi PACTE procèdera à une transposition partielle de la Directive UE 2017/828 en complétant des dispositions déjà existantes du droit français pour mettre celui-ci en harmonie avec la Directive UE 2017/828.
A cet égard, la loi PACTE prévoit :
- L’identification des actionnaires dans les sociétés cotées[6]pour les émetteurs qui souhaitent identifier leurs actionnaires détenant des participations excédant 0,5% du capital. L’objectif est de pouvoir mieux communiquer avec ces derniers et appréhender leurs attentes. Ce dispositif d’identification des actionnaires met à la charge des intermédiaires des obligations de communication, y compris pour ceux dont le siège social n’est pas établi au sein de l’Union Européenne.
⇒En l’état du droit français, l’identification des actionnaires s’applique déjà aux participations excédant 0,25% du capital de la société et la loi PACTE[7]devrait compléter les mesures en vigueur, et notamment la procédure du « titre au porteur identifiable »[8]. Toutefois, la loi PACTE ne prévoit pas la possibilité pour l’émetteur de demander à l’intermédiaire de recueillir les informations concernant l’identité des actionnaires.
- L’élaboration et la publication annuelle d’une politique d’engagement actionnarial[9]décrivant la manière dont les « investisseurs institutionnels » et les « gestionnaires d’actifs », en particulier les sociétés de gestion d’organismes de placements collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) ou de fonds d’investissement alternatifs (FIA), intègrent leur rôle d’actionnaire dans leur stratégie d’investissement. Par ailleurs, la Directive UE 2017/828 précise que cette politique d’engagement décrit notamment la manière dont ces acteurs assurent le suivi des sociétés, dialoguent avec les acteurs pertinents des sociétés, exercent les droits de vote et autres droits attachés aux actions et préviennent des conflits d’intérêts en rapport à leur engagement.
⇒S’agissant de la politique de vote au sein des sociétés de gestion, l’article L.533-22 du Code monétaire et financier prévoit déjà des obligations de transparence selon les modalités du règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), lesquelles vont bien au-delà de ce qu’impose la directive.
- L’approbation de la politique de rémunération des dirigeants par les actionnaires et l’établissement d’un rapport annuel sur la rémunération.La Directive UE 2017/828 impose aux Etats membres d’introduire dans leur législation la procédure du « say on pay»[10], qui relevait jusqu’alors de la simple recommandation de la Commission européenne[11]. Ainsi, la Directive UE 2017/828[12]prévoit, au profit des actionnaires, un droit de vote sur la politique de rémunération des dirigeants, et ce, tous les quatre ans ou à l’occasion de toute modification importante. Cependant, le choix est laissé aux Etats membres de donner un caractère contraignant ou simplement consultatif à ce vote. En outre, la Directive prévoit l’obligation pour les sociétés de fournir aux actionnaires des informations claires et compréhensibles, par le biais d’un rapport, s’agissant de la rémunération, y compris tous les avantages, octroyés ou dus au cours de l’exercice précédent[13].
⇒Sur ce point, la loi PACTE habilite le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance pour la mise en place d’un dispositif « unifié et contraignant d’encadrement de la rémunération des dirigeants des sociétés cotées »[14]afin d’adapter le Code de commerce aux exigences issues de la Directive.
- L’information sur les transactions entre la société et une « partie liée »,lesquelles devront être approuvées par l’organe d’administration ou de surveillance de la société. La proposition de directive prévoyait, à ce titre, une autorisation préalable, précision que ne contient plus la directive adoptée. En outre, il est prévu la possibilité pour les Etats membres d’exiger une attestation d’équité en matière de transactions conclues entre la société et une partie liée.
⇒La loi PACTE prévoit de modifier le Code de commerce en ce sens, étant précisé que le droit français prévoit quant à lui que la personne concernée par la transaction ne peut prendre part au vote de l’assemblée générale ou du conseil, qui doit approuver ladite transaction. Enfin, pour ce qui est de l’attestation d’équité, s’agissant d’une simple faculté, la loi PACTE ne reprend pas cette mesure.
- La transparence du service de conseil de voteen encadrant pour la première fois l’activité des conseillers en vote et leur imposant diverses obligations, notamment : (i) la publication du code de conduite qu’ils appliquent et la rédaction d’un rapport sur cette application, (ii) la publication en ligne sur leur site des informations relatives à leurs conseils, leurs recommandations de vote et les recherches réalisées à ce titre, (iii) la communication à leurs clients de tout conflit d’intérêts susceptible d’influencer les conseils donnés et recommandations faites aux actionnaires.
⇒La loi PACTE intègre ces dispositions au sein du Code monétaire et financier, dans une section dédiée au service de conseil de vote pour les actionnaires de sociétés cotées dans l’Union Européenne. La loi PACTE précise, par ailleurs, le champ d’application de ces dispositions en y incluant les conseillers dont le siège social est situé hors de la France mais qui opèrent au moyen d’une entité sur le territoire français.
Comme indiqué plus haut, il s’agit là d’une transposition partielle des dispositions de la Directive UE 2017/828 par le biais de la loi PACTE. Pour tout le reste, la loi PACTE habilite, notamment, le gouvernement à prendre des ordonnances en vue de la transposition de certaines dispositions de la Directive UE 2017/828, laquelle doit normalement être entièrement transposée avant le 10 juin 2019.
Pour conclure, lorsque nous faisons un bilan des apports de la Directive UE 2017/828, nous constatons que des propositions phares faites au cours des débats n’ont pas été retenues. Par ailleurs, les Etats membres disposent d’une importante marge d’appréciation pour mettre en œuvre les mesures et décider des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées afin d’assurer la transposition des exigences issues de la Directive UE 2017/828. En outre, certaines obligations pourront être écartées par les intéressés en fournissant une explication sur leurs raisons d’agir ainsi, et ce, en application du principe de gouvernance du « comply or explain[15]».
Enfin, nous observons un maintien de l’approche actionnariale de la gouvernance des sociétés. Le résultat reste donc mitigé.
[1]Directive 2007/36/CE, articles 5, 6, 8, 9 et 10
[2]Au travers de l’ordonnance n°2010-1511 du 9 décembre 2010 et le décret n°2010-1619 du 23 décembre 2010
[3]C.com. Art L225-105 et suivants et R.225-71 et suivants
[4]Commentaire Lextenso, Bulletin Joly « Révision de la directive Droit des actionnaires »
[5]La loi PACTE a été définitivement adoptée par le Parlement le 11 avril 2019 mais n’est pas encore entrée en vigueur. Le Conseil Constitutionnel a été saisi aux fins de se prononcer sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi.
[6]Art 3 bis de la Directive 2017/828
[7]Art 66 III de la loi PACTE
[8]Art L228-2 et suivants du Code de commerce
[9]Art 3 octies de la Directive 2017/828
[10]Procédure permettant aux actionnaires d’une entreprise de voter sur la rémunération des dirigeants sociaux.
[11]Recommandation 2004/913/CE de la Commission du 14 décembre 2004 encourageant la mise en œuvre d’un régime approprié de rémunération des administrateurs des sociétés cotées
[12]Art 9 bis de la Directive UE 2017/828
[13]Art 9 ter de la Directive UE 2017/828
[14]Art 66 V de la loi PACTE
[15]« Appliquer ou expliquer »