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Publié le 28 février 2018 par Soulier Avocats

Quel type de logiciel peut constituer un dispositif médical selon la CJUE ?

Par un arrêt du 7 décembre 2017, la CJUE est venue rappeler les critères à prendre en considération pour déterminer si un logiciel constitue un dispositif médical.

Il ressort en l’espèce qu’un logiciel permettant l’exploitation de données propres à un patient, aux fins notamment de détecter les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue un dispositif médical, et ce même si un tel logiciel n’agit pas directement dans ou sur le corps humain.

Aux termes de cet arrêt du 7 décembre 2017[1], il a été demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de se prononcer sur le point de savoir si un logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à un patient, aux fins notamment de détecter les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical au sens de la Directive 93/42[2] sur les dispositifs médicaux, et ce même si un tel logiciel n’agit pas directement dans ou sur le corps humain.

Cette question préjudicielle a été soulevée dans le cadre de la saisine du Conseil d’Etat par le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (SNITEM) et Philips France d’un recours en annulation de certaines dispositions du décret n° 2014‑1359 du 14 novembre 2014[3] fixant les conditions de l’obligation de certification des logiciels d’aide à la prescription médicale sur la base d’un référentiel établi par la Haute Autorité de Santé (HAS).

Le SNITEM et Philips France soutiennent que, dans la mesure où certains au moins des logiciels d’aide à la prescription médicale sont des dispositifs médicaux conformément à la Directive 93/42 et qu’ils portent à ce titre le marquage CE, l’obligation de certification de ces produits prévue par la règlementation française est contraire à l’Article 4 de la Directive qui interdit aux États membres de faire obstacle sur leur territoire à la mise sur le marché ou la mise en service des dispositifs portant un tel marquage CE.

Par son arrêt, la CJUE livre son analyse en rappelant tout d’abord qu’un logiciel constitue un dispositif médical aux fins de la Directive 93/42 « lorsqu’il satisfait aux deux conditions cumulatives que doit remplir tout dispositif de cette nature, tenant respectivement à la finalité poursuivie et à l’action produite ».

S’agissant de la condition de la finalité poursuivie, un logiciel en lui-même est un dispositif médical lorsqu’il est spécifiquement destiné par le fabricant à être utilisé dans un ou plusieurs des buts médicaux figurant dans la définition d’un dispositif médical, à savoir notamment de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie, ainsi que de diagnostic, de contrôle, de traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap.

La CJUE retient à cet égard qu’un logiciel qui procède au recoupement des données propres du patient avec les médicaments que le médecin envisage de prescrire « et est, ainsi, capable de lui fournir, de manière automatisée, une analyse visant à détecter, notamment, les éventuelles contre‑indications, interactions médicamenteuses et posologies excessives, est utilisé à des fins de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie et poursuit en conséquence une finalité spécifiquement médicale, ce qui en fait un dispositif médical ».

En revanche, d’après cet arrêt, ne constitue pas un dispositif médical un logiciel d’archivage ou de stockage de données médicales du patient, à savoir un logiciel « qui, tout en ayant vocation à être utilisé dans un contexte médical, a pour finalité unique d’archiver, de collecter et de transmettre des données ». Ne relève pas non plus de la Directive sur les dispositifs médicaux un logiciel dont la fonction « est limitée à indiquer au médecin traitant le nom du médicament générique associé à celui qu’il envisage de prescrire » ou encore un logiciel « destiné à faire état des contre-indications mentionnées par le fabricant de ce médicament dans sa notice d’utilisation ».

S’agissant de la condition tenant à l’action produite, la CJUE rappelle que pour qualifier un logiciel de dispositif médical, le législateur de l’Union a entendu se concentrer sur la finalité de son utilisation et non sur la manière dont est susceptible de se concrétiser l’effet qu’il est en mesure de produire sur ou dans le corps humain.

La Cour confirme ainsi dans son arrêt qu’il importe peu que les logiciels agissent directement ou non sur le corps humain pour être qualifiés de dispositif médical, « l’essentiel étant que leur finalité soit spécifiquement l’une de celle figurant dans la définition d’un dispositif médical ».

Pour confirmer son interprétation, la Cour renvoie expressément aux lignes directrices de la Commission relatives à la qualification et la classification des logiciels autonomes utilisés en médecine dans le cadre réglementaire des dispositifs médicaux (« Guidelines on the qualification and classification of stand alone software used in healthcare within the regulatory framework of medical devices », Meddev 2.1/6), lesquelles ont pour objet de favoriser une application uniforme des dispositions de la Directive 93/42 au sein de l’Union.

Selon ces lignes directrices, constituent des dispositifs médicaux les logiciels qui ont été affectés par le fabricant à poursuivre dans leur usage l’une des finalités prévues par la Directive 93/42 et qui sont destinés à créer ou à modifier des renseignements médicaux, « notamment par l’intermédiaire de processus de calcul, de quantification ou encore de comparaison des données enregistrées avec certaines références, afin de fournir des renseignements concernant un patient déterminé ».

Lesdites lignes directrices précisent également que ne devraient pas être considérés comme constituant des dispositifs médicaux les logiciels « qui n’effectuent aucune action sur les données ou dont l’action est limitée au stockage, à l’archivage, à la compression sans perte ou, enfin, à la recherche simple, c’est-à-dire, s’agissant de ce dernier cas, des logiciels qui ont une fonction de bibliothèque numérique et permettent de trouver des informations provenant de métadonnées, sans les modifier ou les interpréter ».

En réponse à la question préjudicielle qui lui a été soumise, la CJUE conclut qu’un logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à un patient, aux fins notamment de détecter les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical au sens de la Directive 93/42, et ce même si un tel logiciel n’agit pas directement dans ou sur le corps humain.

Dès lors, dans la mesure où un tel logiciel est un dispositif médical, il doit obligatoirement porter le marquage CE de conformité lors de sa mise sur le marché conformément à la Directive 93/42. Une fois ce marquage obtenu, ce produit, pour ce qui est de cette fonctionnalité, peut être mis sur le marché et circuler librement dans l’Union Européenne sans devoir faire l’objet d’aucune autre procédure supplémentaire, telle qu’une nouvelle certification.

La CJUE se prononce également dans son arrêt sur le cas d’un logiciel médical comprenant plusieurs modules dont certains ne répondent pas à la définition de la notion de « dispositif médical ». Elle confirme que seuls les modules relevant du champ d’application de la Directive 93/42 sont soumis à cette réglementation et doivent faire l’objet d’un marquage CE. La Cour rappelle à cet égard qu’il incombe au fabricant d’identifier les limites et les interfaces des différents modules, lesquels doivent, s’agissant des modules soumis à la directive 93/42, être clairement identifiés par le fabricant et fondés sur l’utilisation qui sera faite du produit. ll en résulte que le fabricant d’un tel logiciel est tenu d’identifier lesquels des modules constituent des dispositifs médicaux, afin que le marquage CE puisse être apposé sur ces seuls modules.

On notera que la solution adoptée par la CJUE est conforme aux aspirations du législateur de l’Union telles qu’elles ressortent du nouveau Règlement 2017/745 relatifs aux dispositifs médicaux[4]. Ce nouveau Règlement – entré en vigueur et qui est applicable à compter du 26 mai 2020 – retient en effet « que les logiciels spécifiquement destinés par le fabricant à une ou plusieurs des fins médicales visées dans la définition de la notion de dispositif médical, constituent, en soi, des dispositifs médicaux, tandis que les logiciels destinés à des usages généraux, même lorsqu’ils sont utilisés dans un environnement de soins, ou les logiciels destinés à des usages ayant trait au mode de vie ou au bien-être, ne constituent pas des dispositifs médicaux. »[5]

L’approche à adopter en matière de logiciels dans le secteur de la santé devra d’ailleurs prendre en considération les évolutions apportées par le nouveau Règlement, et notamment au regard de l’élargissement de la notion de dispositifs médicaux qui intégrera tous les dispositifs destinés à être utilisés à des fins de « prévision » et de « pronostic » d’une maladie.

Enfin, pour revenir à la procédure en cours devant le Conseil d’Etat, cet arrêt de la CJUE devrait en principe conduire à l’invalidation des dispositions du décret du 14 novembre 2014 imposant une obligation de certification des logiciels d’aide à la prescription portant un marquage CE.

Si la question préjudicielle portée devant la CJUE ne portait que sur les logiciels d’aide à la prescription, des contestations sont à prévoir également pour les logiciels d’aide à la dispensation des pharmaciens susceptibles d’intégrer des fonctionnalités relevant de l’obligation de certification imposée par la réglementation française en plus du marquage CE.

 

[1] CJUE, 7 décembre 2017, affaire n°C‑329/16

[2] Directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux 

[3] Décret n° 2014-1359 en date du 14 novembre 2014, JORF du 15 novembre 2014, p. 19255

[4] Règlement (UE) 2017/745 du Parlement Européen et du Conseil, du 5 avril 2017, relatif aux dispositifs médicaux

[5] Règlement (UE) 2017/745 du Parlement Européen et du Conseil, du 5 avril 2017, relatif aux dispositifs médicaux, par. 19