Uber : les chauffeurs sont des salariés selon la Cour d’appel de Paris !
Signal reçu cinq sur cinq par la Cour d’appel de Paris !
Dans la lignée de l’arrêt très remarqué de la chambre sociale de la Cour de cassation du 28 novembre 2018[1], qui, comme nous l’avions commenté en décembre dernier, envoyait un signal fort aux juridictions du fond en reconnaissant la requalification en contrat de travail d’un livreur à une plateforme numérique[2], la Cour d’appel de Paris a pour la première fois affirmé que le contrat liant la société Uber à l’un de ses chauffeurs s’analysait en un contrat de travail.
Alors que le juge parisien était jusqu’à présent réticent à reconnaître une situation de salariat entre un auto-entrepreneur et une plateforme numérique, il relève dans un arrêt du 10 janvier 2019[3], particulièrement motivé et détaillé, qu’un « faisceau suffisant d’indices » était en l’espèce réuni pour permettre de caractériser un lien de subordination entre la plateforme Uber et le chauffeur auto-entrepreneur.
Faisant écho à la décision récente de la Cour de cassation, la Cour d’appel de Paris a commencé par rappeler que le contrat de travail suppose un lien de subordination, caractérisé par les pouvoirs cumulés de direction, de contrôle et de sanction, avant de rappeler qu’il appartient au juge d’analyser les conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, peu important la qualification donnée ou la volonté exprimée par les parties.
La Cour d’appel de Paris opère en deux temps : au visa de l’article L. 8221-6 du Code du travail, elle démontre d’abord l’absence d’activité indépendante du chauffeur Uber (1) avant de caractériser l’existence d’un lien de subordination avec la plateforme (2).
- Le chauffeur Uber n’est pas un travailleur indépendant
La Cour d’appel de Paris énonce qu’une condition essentielle de l’entreprise individuelle indépendante est « le libre choix que son auteur fait de la créer ou de la reprendre, outre la maîtrise de l’organisation de ses tâches, sa recherche de clientèle et de fournisseurs. »
En l’espèce, elle a considéré que le chauffeur Uber ne remplissait pas les conditions requises pour être considéré comme un travailleur indépendant, à savoir :
- La libre fixation des conditions d’exercice de sa prestation de transport (entièrement régie par Uber, qui centralise et attribue aux chauffeurs les demandes de prestations de transport via des algorithmes) ;
- La constitution d’une clientèle propre (Uber interdisant de prendre en charge d’autres passagers en dehors du système de l’application, ou encore interdisant de contacter les passagers à l’issue du trajet ou de conserver leurs informations personnelles) ; et
- La libre fixation des tarifs (fixés contractuellement au moyen des algorithmes de la plateforme).
- Le chauffeur Uber est lié à la plateforme par un lien de subordination
Pour caractériser l’existence d’un contrat de travail, la Cour d’appel de Paris décèle ensuite un lien de subordination entre le chauffeur Uber et la plateforme, au moyen d’indices rappelant l’attendu de la décision récente de la Cour de cassation.
Aussi, le lien de subordination est caractérisé par :
- Un pouvoir de direction (se révélant notamment à travers l’obligation de suivre un itinéraire efficace via les instructions du GPS de l’application sous peine de sanction, l’obligation d’attendre 10 minutes que l’utilisateur se présente au lieu convenu et l’obligation de respecter les directives comportementales d’Uber) ;
- Un pouvoir de contrôle (se révélant au moyen d’un système d’acceptation de courses accordant au chauffeur une liberté de choix très limitée, et au moyen d’un système de géolocalisation) ;
- Un pouvoir de sanction (se révélant à travers la fixation d’un « taux d’annulation de commandes» par ville pouvant entraîner la perte d’accès au compte, et par un système de signalement de « comportements problématiques » par les utilisateurs, pouvant également entraîner la perte définitive d’accès à l’application).
L’argumentation de la société Uber selon laquelle les chauffeurs étaient libres de se connecter et libres du choix des horaires de travail, n’est, en l’espèce, pas pertinente selon la Cour d’appel de Paris.
La société Uber a indiqué qu’elle se pourvoyait en cassation contre cet arrêt.
Notons enfin que le législateur est, pour sa part, toujours attendu sur cette question.
[1] Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20.079
[2]Cf. article intitulé Requalification du contrat liant un livreur à une plateforme numérique : le signal fort de la Cour de cassation
[3] CA Paris, 10 janv. 2019, 6-2, n°18/08357