Valorisation de droits sociaux : confirmation de l’applicabilité de l’article 1843-4 du code civil aux conventions extrastatutaires
L’article 1843-4 du Code civil dispose que « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible».
Cet article est d’ordre public[1] : une telle expertise doit être prescrite en cas de cession ou de rachat imposé de droit sociaux dont la valeur fait l’objet d’une contestation. Il appartient alors au tiers estimateur ainsi désigné de procéder à l’évaluation des droits sociaux, sur la base de critères qu’il aura jugés appropriés au cas d’espèce[2]. Sa décision s’impose aux parties et au juge, sauf cas d’erreur grossière[3].
Depuis 2007[4], la Cour de cassation n’a de cesse d’étendre le domaine d’application de ce texte au mépris de la volonté des parties, en accueillant toute demande d’expertise, y compris en présence d’une clause de détermination du prix initialement convenue d’un commun accord entre les parties.
La décision[5] ci-après commentée est dans le droit fil de cette construction prétorienne largement controversée.
Titulaire de 11.274 actions de la société Comptafrance Holding en suite de la mise en place d’un Plan d’Epargne Entreprise, le directeur salarié d’une filiale de ladite société s’engage, par une promesse irrévocable conclue aux termes de la « Charte des associés du groupe Comptafrance », à céder les actions susvisées en cas de cessation de ses fonctions au sein de cette filiale, à un prix fixé en application d’une formule prédéterminée.
Quelques années plus tard, celui-ci démissionne de ses fonctions et, contraint de céder les actions de la société Comptafrance Holding qu’il détient, conteste le prix de cession qui lui est proposé et demande la désignation d’un expert chargé de fixer celui-ci en application de l’article 1843-4 du Code civil.
Par un arrêt en date du 1er avril 2010, la Cour d’appel de Paris retient que l’ancien directeur « invoque à tort les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil puisque les parties n’ont aucunement convenu, en cas de désaccord, de désigner un expert pour la détermination du prix de cession des actions. »
Statuant sur le pourvoi formé par ce dernier, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel pour violation de l’article précité par refus d’application.
L’étude du contentieux indique que la tendance est aujourd’hui la suivante :
– les clauses statutaires ou extrastatutaires de détermination du prix en cas de cession ou de rachat forcé ne peuvent faire obstacle à l’application des dispositions de l’article 1843-4 du Code civil[6], dès lors que la contestation est antérieure à la cession[7] ;
– l’expert est libre de s’écarter de la méthode de valorisation initialement retenue par les parties[8].
L’avenir des clauses dites de « bad leaver » et « good leaver » paraît de plus en plus incertain.
L’objectif principal de ces clauses, majoritairement extrastatutaires, est en effet d’organiser à l’avance les conditions de sortie des dirigeants ou hommes-clefs, en fonction notamment de leur comportement à l’égard de la société dont ils sont mandataires ou salariés : ainsi la clause dite de « bad leaver » permet-elle de sanctionner les dirigeants ou hommes-clefs démissionnaires, révoqués ou licenciés pour faute (par exemple), en prévoyant le rachat de leurs titres en cas de départ pour les raisons sus-énoncées à un prix fixé en application d’une formule prédéterminée, après application d’une décote.
A l’inverse, la clause dite de « good leaver » récompense les dirigeants ou hommes-clefs dont les fonctions cessent en suite de la survenance d’évènements non visés par la clause de « bad leaver », en prévoyant le rachat de leurs titres à un prix qui se veut juste.
[1] Jurisprudence constante : voir notamment Cass. civ. 1ère, 25 nov. 2003 ; Cass. com. 4 déc. 2007.
[2] Jurisprudence constante : voir notamment Cass. com. 5 mai 2009 ; CA Paris, 9 déc. 2008.
[3] Jurisprudence constante : voir notamment Cass. civ. 1ère, 25 nov. 2003 ; Cass. civ. 1ère, 25 jan. 2005.
[4] Cass. com., 4 déc. 2007.
[5] Cass. com., 4 déc. 2012, n°10-16.280
[6] Cass. com., 4 déc. 2007 ; décision commentée.
[7] Cass. com., 24 nov. 2009.
[8] Cass. com., 5 mai 2009.