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Publié le 15 mars 2022 par Soulier Avocats

Vers un devoir de vigilance européen

La Commission européenne a adopté une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Les entreprises seront tenues de recenser et, s’il y a lieu, de prévenir, de faire cesser ou d’atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits de l’homme et sur l’environnement.

Contexte

Le Parlement européen et le Conseil avaient invité la Commission à présenter une proposition de cadre juridique de l’UE sur la gouvernance d’entreprise durable, à l’image de ce qui existe en France[1] et en Allemagne.

La proposition de la Commission répond à ces appels à agir, après avoir lancé une consultation publique sur l’initiative sur la gouvernance d’entreprise durable le 26 octobre 2020.[2] Lors de l’élaboration de la proposition, la Commission a également tenu compte des nombreuses données probantes recueillies dans le cadre de deux études commandées sur les devoirs des dirigeants et la gouvernance durable de l’entreprise (juillet 2020)[3] et sur les exigences liées au devoir de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement (février 2020)[4].

Objet

Le projet de directive contient des règles :

  • Sur les obligations des sociétés concernant les incidences négatives réelles et potentielles sur les droits de l’homme et sur l’environnement, en ce qui concerne leurs propres activités, les activités de leurs filiales et les activités de la chaîne de valeur menées par des entités avec lesquelles la société a une relation commerciale établie, et
  • Sur la responsabilité en cas de violation de ces obligations.

Ainsi, il vise les activités propres des entreprises, celles de leurs filiales mais aussi les chaînes de valeur (relations commerciales établies de manière directe et indirecte).

Entreprises concernées

Aux termes de ce projet de directive, celle-ci s’appliquerait :

  • Aux grandes entreprises comptant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires (CA) mondial annuel supérieur à 150 millions d’euros ;
  • Aux sociétés qui ont plus de 250 salariés et qui réalisent plus de 40 millions d’euros net de CA mondial annuel dès lors qu’elles réalisent plus de 50 % de leur CA dans certains secteurs identifiés (l’industrie textile et de la chaussure, l’agriculture, la pêche, l’agroalimentaire, l’extraction de ressources minérales (pétrole, gaz, charbon), la production de métal, etc.). Pour ces entreprises, les règles commenceront à s’appliquer deux ans plus tard ;
  • Aux sociétés établies dans des Etats tiers lorsqu’elles réalisent plus de 150 millions d’euros net de CA mondial annuel dans l’UE, ou 40 millions d’euros dès lors qu’elles en réalisent plus de 50 % dans les secteurs précités.

Ainsi, environ 13 000 entreprises européennes et 4 000 de pays tiers opérant dans l’UE seraient soumises au devoir de vigilance. Le périmètre d’application de la directive serait donc plus large que celui de la loi française qui ne concerne que les grandes entreprises de plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 en France et à l’étranger (soit environ 250 entreprises visées).

Les petites et moyennes entreprises (PME) ne relèvent pas directement du champ d’application de cette proposition. La Commission précise cependant qu’elles « seront toutefois exposées à une partie des coûts et de la charge par le biais de relations commerciales qu’elles entretiennent avec les entreprises qui entrent dans le champ d’application, car les grandes entreprises sont censées répercuter les exigences sur leurs fournisseurs. »

Obligations

Afin de respecter le devoir de vigilance en matière de durabilité, les entreprises doivent (article 4) :

  • Intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques internes et dans leur gouvernance ;
  • Recenser les atteintes graves, réelles ou potentielles, sur les droits de l’homme et l’environnement ;
  • Prévenir ou atténuer ces atteintes potentielles, et mettre un terme aux atteintes réelles ou les réduire au minimum ;
  • Établir et maintenir une procédure de réclamation ;
  • Contrôler l’efficacité de la politique et des mesures de vigilance ;
  • Communiquer publiquement sur le devoir de vigilance.

Chacune de ces 6 obligations est ensuite détaillée aux articles 5 à 11.

Responsabilité et sanctions

En cas de manquement, la responsabilité civile des entreprises défaillantes pourrait être engagée, et elles pourraient être tenues d’indemniser les personnes affectées (article 22).

Les États membres devraient aussi veiller à ce que les entreprises se conforment à leurs obligations de devoir de vigilance, et ils pourraient leur infliger des amendes en cas d’infraction (article 20).

Une autorité de supervision sera mise en place au sein de chaque État membre et aura le pouvoir d’imposer à une entreprise de mettre un terme à un comportement non diligent voire de la sanctionner (article 17).

Changement climatique

Les entreprises comptant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires (CA) mondial annuel supérieur à 150 millions d’euros doivent disposer d’un plan permettant de garantir que leur stratégie commerciale est compatible avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris (article 15).

Le respect de cette obligation doit être pris en considération lors de la fixation de la rémunération variable, si celle-ci est liée à la contribution d’un administrateur à la stratégie commerciale de l’entreprise ainsi qu’à ses intérêts et à sa viabilité à long terme.

Prochaines étapes

La proposition sera soumise à l’approbation du Parlement européen et du Conseil. Une fois la directive adoptée, les États membres auront deux ans pour la transposer en droit interne et communiquer les textes correspondants à la Commission.


[1] Cf. articles intitulés Droit des sociétés : quels impacts de la Loi Climat et Résilience ? et Contentieux relatif au devoir de vigilance : le tribunal judiciaire de Paris seul compétent publiés respectivement sur notre Blog aux mois de décembre 2021 et janvier 2022

[2] https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12548-Gouvernance-d%E2%80%99entreprise-durable_fr

[3] https://data.europa.eu/doi/10.2838/472901   

[4] https://data.europa.eu/doi/10.2838/39830